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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/1012

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grecque, où l’homme est sur le premier plan, souvent seul avec sa force, tandis que les dieux, qui n’interviennent que de loin en loin, le regardent combattre des sommets de l’Ida. Ici, le divin est partout ; l’infini enveloppe l’humanité et lui communique une incroyable grandeur. Au milieu de ces récits de faits merveilleux, d’exploits gigantesques, on aime à suivre la destinée errante des deux époux et leurs aventures à travers les grandes forêts, remplies d’ermitages célèbres, au bord des lacs sacrés. Une catastrophe, qui est le nœud du poème, vient jeter un intérêt pathétique et quasi romanesque au sein de la divine épopée. L’épouse de Rama, celle qui a voulu le suivre dans l’exil, sa tendre et fidèle Sita, lui est enlevée par un géant et emportée dans l’île de Ceylan. M. Gorresio remarque avec raison que l’enlèvement d’une femme sera aussi la cause de la guerre de Troie chantée par Homère ; mais Sita ne ressemble point à Hélène : cette Hélène est une Andromaque. La fille de Léda est le type de la beauté physique et de la faiblesse morale ; Sita est l’idéal de la tendresse conjugale et du dévouement. Après qu’elle a été délivrée de son ravisseur, sa pureté est solennellement manifestée par l’épreuve du feu, à laquelle elle se soumet comme une princesse du moyen-âge. Le poème, qui s’est passé sur la terre, finit dans le ciel par l’ascension de Rama, qui, après avoir souffert en homme et combattu en héros, triomphe en dieu.

Telle est la marche du poème. On voit que les nombreux épisodes qui le composent sont rattachés à un fait principal, l’exil de Rama, que l’intérêt se concentre sur l’aventure de Sita, perdue et retrouvée. Il y a donc une véritable unité dans cette prodigieuse diversité. Le merveilleux du Ramayana est étrange ; non-seulement on y voit figurer les dieux et les démons, mais la nature animale y est aussi représentée par le roi des vautours et le chef des singes, tous deux alliés fidèles de Rama. Cette fraternité qu’établit entre l’homme et les animaux le dogme indien de l’unité substantielle de tous les êtres se montre encore ici. De plus, dans le peuple des singes qui vient en aide à Rama, on a cru, et probablement non sans raison, reconnaître certaines populations établies anciennement dans les régions montagneuses de l’Inde centrale.

L’étude du Ramayana présente un double intérêt : on peut y signaler des beautés d’imagination et d’art, et comparer sous ce rapport l’épopée indienne aux autres grandes épopées de l’Orient et de l’Occident ; on peut aussi chercher dans cet antique monument un tableau de la civilisation de l’Inde mille ans au moins avant Jésus-Christ, une peinture des mœurs et des sentimens qui régnaient alors dans cet état d’Ayodia (aujourd’hui Oude), où a vécu de nos jours un prince fort différent de l’héroïque Rama, serviteur des Anglais et auteur d’un dictionnaire persan.

La civilisation paraît avoir été à plusieurs égards bien plus avancée