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cinq heures de ses rivages, et pour ainsi dire dans son propre sein, il s’amoncelât une masse de pauvreté et de désorganisation sans pareille dans le monde entier. »


Que disait, de son côté, le parti philosophique ? Il s’exprimait ainsi par l’organe du Morning Chronicle :

« Le document extraordinaire par lequel on nous commande ce jeûne, et copié, nous le supposons, de quelque document semblable du temps d’Henri VIII ou d’Élisabeth, sauf qu’il manque de cette force d’expression que donnait en ce temps-là la sincérité, s’arroge de la familiarité avec les secrets conseils de Dieu jusqu’à menacer de « la colère et de l’indignation divines » tous ceux qui négligeront ce pieux devoir. Il suffit de connaître les opinions des classes éclairées de ce pays pour savoir comment sera reçue une pareille momerie… »


A en juger d’après la conduite de la population en général, le Chronicle eut à peu près raison ; on put même remarquer à cette occasion qu’un assez notable changement semblait s’être opéré depuis quelques années dans les habitudes, sinon dans les sentimens du peuple anglais. Ainsi, quinze ans auparavant, à l’époque du choléra-morbus, un jeûne national avait également été ordonné en Angleterre ; il y fut religieusement observé, et il paraît qu’il y eut ce jour-là dans les églises de Londres seulement plus d’un demi-million de communians. Il n’en fut pas de même en 1847 ; le peuple anglais se montra en général moins enclin à faire pénitence. Était-ce parce que la calamité dont on avait à implorer le terme tombait seulement à côté de l’Angleterre ? Nous ne saurions le dire ; mais toujours est-il que le jour de pénitence fut, sauf quelques exceptions, surtout des exceptions officielles, plutôt un jour de réjouissance. Toutes les boutiques se fermèrent comme pour un dimanche ; il faisait très beau temps, et le peuple anglais, fuyant la tristesse dominicale, alla encombrer les bateaux à vapeur et inonder les parcs et les jardins publics.

Réconforté par le jeûne, le parlement se remit à sa tâche. La loi des pauvres était maintenant passée sur le terrain de la chambre des lords. Ces malheureux landlords irlandais allaient enfin avoir un peu de répit et sortir pour quelque temps des griffes de M. Roebuck. Chez les lords, ils étaient un peu chez eux. Voyant qu’il n’y avait rien à espérer dans la chambre des communes, ils y avaient quitté la partie, et ils avaient remis leurs affaires entre les mains de lord Monteagle et de lord Stanley.

Lord Monteagle était autrefois connu sous le nom de M. Spring Rice. Il avait été chancelier de l’échiquier dans le ministère de lord Melbourne, il avait été fait pair, et avait acquis des biens considérables en Irlande. Les Irlandais ne pouvaient choisir un meilleur avocat ; il était très fin, très habile, et ce qu’on appelle en anglais clever. Ce fut lui qui prit dans la chambre des lords la conduite de l’opposition contre le