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et de toutes les religions ; enfin des satires : Sandâ, Mîr-Taqui, Jurat, et d’autres poètes animés d’une verve ardente, ont stigmatisé la mauvaise administration et les vices de la société hindoue et musulmane. On devine que leurs vers offrent une peinture aussi vive que piquante de la vie publique et privée de leur pays ; ils s’attaquent à tout, à un radja, au préfet de police de Dehli, à l’avare, au menteur, au médecin, aux saisons mêmes. Toute proportion gardée, il est permis de dire qu’ils se maintiennent entre Juvénal et Horace, tempérant par la grace de celui-ci l’âcreté mordante de celui-là. Ces écrivains commandent le bataillon innombrable des poetœ minores qui ont laissé une foule de productions charmantes, odes et élégies, poèmes et romans en vers, stances et chansons. Dans cette littérature de second ordre se placent les morceaux achevés, purement d’art, tels que la renaissance les a ressuscités chez nous. La poésie intime, négligée par le brahmanisme, se fit jour à la faveur d’un régime moins théocratique ; le règne des princes musulmans la développa, et, comme la fleur odorante qui s’épanouit sur les créneaux de la vieille tour, elle couronna l’édifice d’une société entée sur des ruines. Malheureusement ce genre de poésie, qui consiste dans la finesse du tour, dans la justesse de l’expression et la vivacité de l’image, perd beaucoup à la traduction. Le goût non plus n’est pas le même en tous pays ; il se peut donc que ces productions légères plaisent surtout à ceux qui les lisent dans le texte original. Cependant, parmi celles qui terminent ce volume, il en est qui trouveront grace devant les esprits les plus prévenus, telles que les Quatre Saisons, de Jawân, la Halte de Faquirs, de Mîr-Haçan, et la Marchande du tombeau de Cutb, de Faïz. Un troisième volume doit compléter le tableau de la littérature hindoui et hindoustani présenté sous tous ses aspects par le professeur qui, le premier en France, s’est occupé de l’Inde moderne depuis son moyen-âge jusqu’à nos jours. Quand cet ouvrage aura paru en entier, nous l’examinerons dans son ensemble ; si le comité des traductions orientales de la Grande-Bretagne et de l’Irlande l’a fait imprimer sous ses auspices, c’est au moins un devoir pour nous de le connaître et de l’apprécier.


V. de Mars.