Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est impossible de trouver une intonation plus marquée ; elle ne l’est pas davantage dans le grec ou l’italien.

Notre vers le plus ancien est notre vers de cinq pieds, c’est-à-dire de dix ou onze syllabes, suivant la terminaison. C’est aussi le vers des Italiens, de Dante, du Tasse, de l’Arioste. Il a deux accens nécessaires, l’un à la dixième syllabe, l’autre à la quatrième ; c’est ce dernier qui marque l’hémistiche. Dans le vers italien, il faut un accent à la dixième et à la sixième, ou bien, en place de la sixième, sur la quatrième et la huitième. On ferait, si l’on voulait, sans aucune difficulté, des vers français dans le système italien ; mais Scoppa observe que le vers français vaut mieux, ayant l’hémistiche plus marqué. A quoi M. Quicherat répond qu’en revanche le vers italien est plus varié, n’étant pas assujetti à un arrangement des accens. Quoi qu’il en soit de la prééminence entre les deux systèmes, c’est justement cette manière si nette de marquer l’hémistiche qui a déterminé nos anciens poètes, ne consultant que l’oreille, à le traiter comme une véritable fin de vers.

De même que les enfans acquièrent, dès les premières années, d’eux-mêmes et par le seul usage, une masse incroyable de notions, se familiarisant avec la connaissance des objets, avec les mots et même avec la syntaxe de la langue, de même l’enfance des peuples néolatins fut singulièrement occupée, créant de nouveaux idiomes et un nouveau système de poésie. Il est bon d’avoir présent à l’esprit ce grand exemple de productions spontanées, cette preuve des aptitudes naturelles de l’esprit humain, pour comprendre comment, dans des âges beaucoup plus reculés et plus éloignés de la lumière de l’histoire, des phénomènes tout semblables ont surgi, et comment la Grèce, cette sublime et féconde institutrice de l’Occident, s’est fait sa langue, sa poésie et sa littérature. De quelque côté que l’on considère le développement des sociétés humaines, on reconnaît toujours et partout une seule et unique cause, les dispositions innées et la nature de l’homme.

Au début de l’histoire grecque et dans le demi-jour de la fable se présente une légende qui émeut les imaginations. Une ville antique et puissante, bâtie des mains des dieux, secourue par toutes les populations environnantes, succomba, après une guerre de dix ans, sous les efforts de la Grèce conjurée. Ce thème fournit un nombre considérable de vieilles chansons de geste, aujourd’hui perdues, et parmi lesquelles a survécu la plus belle, le poème héroïque d’Homère. De la même façon, au début du moyen-âge, un homme renouvela les exploits des Alexandre et des César, dompta jusque dans ses profondeurs la Germanie indomptée, atteignit les musulmans par-delà les Pyrénées, réunit l’Italie à sa domination, et fut couronné empereur dans la ville éternelle. Un court éloignement dans le temps suffit pour transfigurer