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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/267

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ruiné se reconstruit de lui-même jusqu’au faîte. Mais, encore une fois, pourquoi discuter de telles doctrines ? Il suffit de les exposer. Je continue.

La théorie de M. Stirner n’oublie rien ; nous avons le code complet de l’égoïsme. Ne croyez pas que ce soit un paradoxe, un abominable jeu d’esprit ; c’est un système qui embrasse tout, qui prévoit tout, et qui se déduit des prémisses avec une logique irrésistible. La jeune école hégélienne se débattra vainement contre les conséquences hideuses que son dialecticien, lui impose. La composition de l’ouvrage est remarquable, d’ailleurs, par l’ordre et la netteté. Après avoir établi son principe, la suppression de tout ce qui n’est pas le moi, M. Stirner discute les différentes écoles philosophiques et sociales qui règnent aujourd’hui. Je ne parle pas de l’ancienne religion et de l’ancienne métaphysique, choses mortes pour M. Stirner, ennemis déjà vaincus et ensevelis par M. Feuerbach. Ce qui l’occupe, c’est le libéralisme, quel qu’il soit, politique, social, humanitaire ; il examine l’une après l’autre ces théories diverses et leur prouve clairement qu’elles sont un faux libéralisme, un libéralisme hypocrite. Elles promettent la liberté et donnent la servitude. La vieille tyrannie tend sans cesse à reparaître sous des formes nouvelles ; tous les partis actuels sont ses représentans. Celui-ci met en avant le droit commun, celui-là la patrie, cet autre l’humanité. Il y a des tribuns qui se croient appelés à être les libérateurs de l’homme parce qu’ils ont écrit : Pereat mundus et fiat justitia ! La justice ! le droit ! toujours des abstractions qui prennent un corps, toujours des spectres, des idoles, auxquels on immolera l’individu ! Toujours la religion, l’iniquité, l’imposture, qui relèvent la tête ! Toujours des capucinades, Das Pfaffenthum ! Ne se trouvera-t-il pas un homme pour réclamer enfin la vraie liberté ? On le voit, il n’y a ici qu’un seul argument, l’argument de M. Feuerbach, mais il est varié avec un art infini. L’auteur l’applique à tout, et cette résolution impitoyable est l’originalité de son travail. Le monde moral s’écroule tout entier devant lui. Pendant ce temps il n’éprouve aucun regret ; tantôt il sourit comme un homme qui se réveille d’un mauvais songe et qui voit s’enfuir des fantômes détestés ; tantôt, quand l’ennemi est puissant et qu’il croit l’avoir terrassé, il pousse des cris de joie où éclate je ne sais quelle poésie horrible. Ainsi, après une discussion où il s’imagine avoir dissipé le fantôme de la patrie, après un réquisitoire contre ce sentiment oppressif auquel il faut tant sacrifier, un cri furieux s’échappe de ses lèvres : Meure le peuple et que je vive ! et il termine enfin par ces incroyables paroles : « Écoutez ! tandis que j’écris ceci, les cloches commencent à sonner ; c’est demain le dixième anniversaire séculaire de la constitution de notre chère Allemagne ! Eh bien ! sonnez, sonnez le glas des funérailles ! Les peuples germaniques ont derrière eux une histoire de mille ans ; quelle longue vie ! O peuples, couchez-vous