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Ce n’est pas le fiévreux emportement de l’esclave affranchi qu’il fallait redouter pour l’avenir de l’épigramme espagnole ; c’est plutôt l’excès contraire, le dédain qui engendre l’injure, ordinaire écueil de la saillie. La « vindicte publique, » ce correctif du laisser-aller constitutionnel, a mis heureusement bon ordre à cette involontaire tendance, et la muse cervantesque, arrêtée à point dans ses velléités licencieuses, n’a pas eu le temps de dénouer sa ceinture entre le despotisme tempéré par la guitare et la liberté tempérée par le procureur du roi.

Le pamphlet espagnol ne date, à proprement parler, que de la venue de Marie-Christine. Je ne compte en effet pour rien les productions hybrides qui marquèrent la période de 1820 à 1823 : les Lettres d’un pauvre fainéant, les Lettres d’un Madrilégne, par Miñano, — un spirituel et bienveillant sceptique de la vieille roche, mais dont la double réputation d’afrancesado et de pensionnaire de la couronne enchaînait trop visiblement la verve, — ou bien le Zurriago, cette calomnie en action du Méphistophélès ennuyé qui s’appela Ferdinand VII. Voici l’histoire authentique du Zurriago et à ce souvenir se borne ce que j’en ai pu retrouver, les exemplaires ayant probablement disparu dans la panique engendrée par la réaction de 1823. Ferdinand VII, trouvant son trône trop étroit pour deux royautés, la sienne et celle de la constitution, aurait bien voulu se débarrasser de cet hôte incommode ; mais la sainte-alliance, qui seule avait les épaules assez fortes pour emporter, sans fléchir sous le poids, les droits de tout un peuple, se faisait prier. Ferdinand cessa brusquement ses sollicitations, et un beau jour parut à Madrid, sous la forme périodique, le Zurriago (le Fouet), véritable fouet qui vous sanglait les royautés au visage. De l’antichambre au boudoir, du boudoir à l’alcôve, rien n’était respecté, et toutes les cours d’Europe y passaient, celle d’Espagne la première : un correspondant anonyme approvisionnait à jour fixe les rédacteurs du Zurriago d’anecdotes scandaleuses et de doublons. Grande rumeur à Vienne, à Londres, à Berlin, à Paris ; pour en savoir si long sur le compte des rois, ce mystérieux correspondant devait être lui-même un peu roi ou un peu diable : vous devinez qu’il était beaucoup l’un et l’autre. « Bah ! disait Ferdinand aux ambassadeurs courroucés, laissons jaser mes braves Espagnols ; il faut bien que la constitution leur serve à quelque chose ! » L’avis porta coup. Cent mille hommes entrèrent en Espagne, et Ferdinand fit pendre ses collaborateurs. Il croyait avoir discrédité à jamais la presse, et prépara, en réalité, son affranchissement définitif. Huit ans après, quand la fille des Bourbons de Naples vint limer les dents et les griffes du lion amoureux, le pamphlet, naturellement tenté d’abuser du double avantage que lui donnaient et l’ascendant libéral de Marie-Christine et la position faite