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par l’effet même de ses prétentions, à personnifier la résistance : résistance à la forme constitutionnelle, en 1812 ; résistance à l’esprit constitutionnel, en 1833.

Si la fraction gallomane de la population, celle qui s’honorait, même au milieu des ruines de la patrie vaincue, du contact de la civilisation française, n’a su, en 1812 et depuis, s’en assimiler que la surface ironique ou fausse, on comprend quelle énorme distance devait séparer de nos idées et de nos mœurs la majorité patriote, pour qui ces idées et ces mœurs étaient le vivant symbole d’une invasion abhorrée. Ceci est encore un des côtés les plus mal explorés de la guerre de l’indépendance. On a cru apercevoir dans le réveil parlementaire de Cadix l’indice d’une sorte de libéralisme à la 89, qui, en repoussant nos armes, aspirait à nos institutions, qui admettait le concours d’un clergé absolutiste, mais accidentellement, comme élément de coalition, et sur la foi d’un pacte tacite où chacune des deux parties contractantes réservait ses droits ultérieurs. Quand on a vu plus tard les principales notabilités des cortès de Cadix figurer à la tête du soulèvement constitutionnel de 1820, pendant que le clergé proclamait, les armes à la main, l’absolutisme pur, cette opinion est passée à l’état de fait acquis. Rien de plus faux. Le mouvement patriotique de 1812 n’échappa jamais à la direction unique, exclusive, de ce clergé absolutiste ; seulement les rôles s’y trouvaient faussés et transposés comme dans le mouvement afrancesado. Dans celui-ci, des hommes qui se disaient et se croyaient les adeptes du progrès politique, de l’idée novatrice, étaient surpris répudiant la constitution, symbole classique de cette idée et de ce progrès ; dans celui-là, au contraire, des rétrogrades purs, adversaires-nés des doctrines constitutionnelles, se faisaient une arme de cette constitution. Les premiers ne raisonnaient pas, ne soupçonnaient peut-être pas la contradiction où ils tombaient ; chez les seconds, la contradiction était logique : voilà toute la différence. Si les moines recouraient en 1812 au système représentatif, c’est qu’en l’absence du pouvoir central, de la royauté, ce système pouvait seul renouer le faisceau brisé de la nationalité espagnole ; c’est qu’à la faveur de leur popularité, de leur influence territoriale et de leur unité hiérarchique, ils se sentaient toujours à temps d’en maîtriser les ressorts. Le clergé espagnol de 1812 faisait par instinct ce que le clergé belge de 1830 a fait par calcul. La constitution de 1812 était conçue tellement en dehors des préoccupations de principes, que les deux dogmes rudimentaires du libéralisme, — la liberté de conscience et la liberté de la presse, — s’y trouvaient, l’un proscrit, l’autre omis. Ferdinand VII put rétablir à son retour l’ancien régime sans soulever de protestations sérieuses. Pour l’immense majorité des Espagnols, même pour les futurs adeptes du libéralisme actuel, la forme de gouvernement improvisée à Cadix était essentiellement