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programme politique ne leur disputait, n’ont pas rencontré une ombre d’opposition dans l’accomplissement de cette réforme municipale dont la simple annonce avait, trois ans plus tôt, servi de prétexte à la tempête qui les dispersa.

J’ai nié l’existence du parti exalté comme parti nombreux et homogène, comme levier social ; mais, à côté et souvent à la tête de ce faux ultra-libéralisme sans individualité, sans programme, sans initiative, que nous voyons refléter au jour le jour tous les égoïsmes menacés, toutes les résistances contre-révolutionnaires, il existe bien réellement un groupe avancé dont M. Mendizabal, successeur et rival de M. Martinez de la Rosa, fut d’abord le centre, et qui a la prétention de faire pendant à la politique modérée représentée par celui-ci. Ainsi le voulait l’esprit d’imitation. Le cabinet de 1834 avait importé en Espagne les formes et la phraséologie de notre juste-milieu, et, pour que la parodie fût complète, l’opposition devait naturellement copier notre gauche. La gauche française déclamait contre le parti prêtre et les entraves de la presse ; vite la gauche espagnole se met à incriminer la censure et à brûler les couvens. Cependant la gauche française avait une troisième manie : c’est de nous rappeler à tout propos aux principes de la première révolution, et à son tour la gauche espagnole, à peine arrivée aux affaires, n’a rien de plus pressé que de redemander la constitution de 1812…, qui proclamait l’ultramontanisme et omettait la liberté de la presse ! Tâchez de concilier ces deux contrefaçons contradictoires. L’absence de toute personnalité, de toute idée en propre, la passivité imitative et moutonnière de cette pauvre révolution espagnole, pouvaient-elles se trahir plus naïvement ? En voyant remonter à la surface ce fossile programme de 1812, peu s’en faut que Larra ne perde patience.


« Bravo ! voilà qui s’appelle faire du chemin. Ici on ne sait pas multiplier, mais on soustrait à merveille. Nous y allons à qui mieux mieux. En l’an 14 le roi vint et dit : Qui de quatorze ôte six reste à huit ; revenons donc à l’état de choses de l’an 8. En l’an 20 viennent les autres qui disent : Qui de vingt ôte six reste à quatorze ; que tout revienne à l’état de choses de l’an 14. En l’an 23, le premier reparaît et dit : Qui de 23 ôte trois reste à vingt ; revienne l’état de choses de février 1820. En l’an 1836, les seconds mettent le nez à la fenêtre, et ils veulent soustraire plus en grand : Qui de trente-six ôte vingt-quatre reste à douze ; que tout revienne à l’état de l’an 12. Ceux-ci ont la palme de la soustraction, si l’on excepte l’homme de l’estatuto, qui, se piquant plus d’honneur que les autres, s’est mis à soustraire tout du coup et à nous planter en plein XVe siècle[1].

« Diantre ! si nous allions remonter à la venue de Tubal ! Sachons d’abord comme doit s’entendre notre progrès ; où allons-nous ? Est-ce en avant ? Est-ce

  1. L’estatuto real, bien qu’il ne fût au fond qu’une contrefaçon malheureuse de notre juste milieu, ressuscitait plusieurs formes décrépites de l’ancienne monarchie.