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se mêlaient tantôt des épisodes empruntés au brahmanisme, tantôt des récits appartenant aux livres chrétiens, et[1] que les sectaires chinois intercalaient dans leurs textes. De là cette confusion d’idées, ce pêle-mêle d’erreurs et de vérités, cette puérilité dans les prescriptions et cette hauteur de vues qui ne peuvent dériver de la même source. En Chine, il est permis de considérer ces romans à moitié mystiques sous le seul point de vue littéraire ; au Thibet, il faut les admettre pour ce qu’ils ont la prétention d’être, c’est-à-dire des livres saints où l’imagination est toujours subordonnée à la foi. L’ensemble des ouvrages bouddhiques conservés dans les états du lama se divise en deux catégories. La première comprend le Kan-djour ou préceptes traduits, collection de cent volumes qui renferme le rituel proprement dit. Le thibétain étant la langue de la liturgie, le latin de la religion de Bouddha, ce rituel a été adopté par tous les couvens bouddhiques de la Tartarie et de la Chine, à tel point qu’il est défendu d’en employer aucun autre sans y être autorisé par l’empereur. Dans la seconde, appelée Stan-djour, sont contenues les instructions traduites, les incantations, les formules de malédiction et d’exorcisme, assemblage confus de deux cents volumes dans lesquels se rencontrent, à travers les histoires et les fables les plus disparates, Ces fragmens du Mahâbhârata et la traduction entière d’un autre poème indien, moins considérable, le Meghadouta.

Cette seconde partie, plus légendaire, plus littéraire aussi, est sans doute contemporaine de la décadence du bouddhisme. Après s’être manifestée comme une loi d’émancipation pour toutes les castes opprimées et de réhabilitation pour toutes les créatures, après avoir pris la forme d’une religion consacrée par un rituel, cette croyance égarée qui vint aboutir au dogme du vide et du néant, à l’absorption pure et simple dans le grand être universel, recruta, chemin faisant, les superstitions répandues dans toute l’Asie. D’un autre côté, les subtilités de l’école la perdirent ; les discussions sur la théologie, suscitées par les brahmanes au nom de l’orthodoxie, l’avaient entraînée au-delà de toutes les prévisions des sectaires : dans une réforme, il est si difficile de s’arrêter ! Quelque temps après la mort du maître, les disciples, fidèles à ses recommandations, avaient tenu des espèces de conciles (dharmasangiti) où ils essayaient de poser la base des dogmes, sous la présidence du chef visible de leur religion ; mais combien durèrent ces assemblées ? Quand le pontife, successeur ou plutôt incarnation de Bouddha lui-même, fut contraint d’émigrer en Chine, l’unité d’action se perdit. Des relations lointaines entre les religieux : de Ceylan, premiers dépositaires des traditions écrites, et les chefs de la foi retirés à

  1. Par exemple, la parabole de l’enfant prodigue, qu’on trouve très détaillée dans la collection bouddhique, on s’explique ces interpolations par la présence des missionnaires nestoriens en Chine et en Tartarie dans les VIe et VIIe siècles.