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volontiers de toutes parts. Tout la frappait au même degré. Le présent dont j’ornais son sein, les lueurs décroissantes du couchant, le rameau chargé de fruits que lui portait au jardin quelque niais empressé, la mule blanche sur laquelle, autour des terrasses, elle galopait, tout lui était sujet de douces paroles, ou au moins de rougissante émotion. Elle rendait grace aux hommes… certes, rien de mieux… mais elle les remerciait avec des façons… je ne saurais trop les définir… comme si elle eût mis au même rang le don que je lui avais fait d’un nom honoré depuis neuf siècles, et l’offrande insignifiante du premier venu.

« Qui s’abaisserait à blâmer sérieusement de pareils enfantillages ? Eût-on toutes les délicatesses du langage, — et vraiment c’est de quoi je me pique le moins, -comment se faire comprendre à demi-mot d’une personne ainsi douée ? Comment lui dire : « C’est ceci ou cela qui me choque en vous. Ici vous n’arrivez pas au but, ici vous le dépassez ? » Alors même qu’elle accepterait humblement ces leçons et n’engagerait pas une lutte d’esprit, alors même qu’elle se bornerait à s’excuser…, ce serait encore un abaissement, et je n’ai jamais voulu m’abaisser. Oh ! certes, elle souriait si je venais à passer près d’elle ; mais qui passait, après moi, sans obtenir le même sourire ? Les choses allaient s’aggravant. Je dus parler en maître. De ce moment, tous sourires disparurent à la fois… La voilà, ma duchesse, à croire qu’elle est vivante…

« Si vous voulez maintenant vous lever, nous irons rejoindre en bas la compagnie. Je vous le répète, la munificence bien connue du comte votre maître me garantit amplement que toute prétention, raisonnable de ma part, quant à la dot, sera noblement accueillie. D’ailleurs, je vous l’ai déjà dit, c’est sa charmante fille que j’ambitionne avant tout. Nous descendrons ensemble, mon cher monsieur… Remarquez aussi ce Neptune apprivoisant un cheval marin. On l’estime un morceau rare, et Claus d’Inspruck l’a fondu en bronze pour moi seul[1]. »


On ne niera pas, nous l’espérons, qu’il n’y ait dans ce drame domestique, si froidement raconté, devant le portrait de la victime, par l’involontaire meurtrier, quelque chose qui glace et fait mal. Tant de jeunesse, de gaieté, de sympathies, d’émotions, de vie surabondante et heureuse, étouffées par un imperturbable et dédaigneux égoïsme ; — cet éclat joyeux s’éteignant au sein d’une lourde atmosphère ; — cette bienveillance universelle refoulée par un orgueil implacable ; — le contraste est bien choisi, nettement exprimé ; il prépare l’effet des derniers vers, où l’on entrevoit qu’une autre destinée, jeune et brillante, va venir se perdre à son tour dans l’abîme où fut engloutie la première.

Browning, qui se fait tour à tour Italien, Espagnol, Hébreu, Français même, — autant qu’il le peut, du moins, — a quelquefois aussi abusé de la fantaisie allemande. La tendance du génie germanique à traduire en personnifications bizarres les forces secrètes de la nature a-t-elle jamais inspiré de plus folles visions que celles-ci, par exemple ?

  1. Dramatic Lyrics. — Italy.