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le mur, on pouvait voir l’empreinte des doigts du meurtrier, qui s’était sans doute échappé en appuyant aux lambris sa main sanglante. Cette empreinte, le temps ne l’a pas effacée ; vous pourrez la voir encore.

— Je devine la fin de l’histoire, dis-je à fray Serapio : la femme fut condamnée comme sorcière, et le moine fut absous.

— La femme, reprit fray Serapio, avoua dans les tourmens sa connivence avec le diable, connivence qu’elle fut condamnée à expier en acte public ; mais elle n’attendit pas le châtiment : les gardiens la trouvèrent un matin étranglée dans son cachot avec les tresses de ces beaux cheveux noirs qui avaient fait perdre la tête à fray Epigmenio. Quant à ce dernier, sa blessure était légère ; il se rétablit promptement. Condamné à cinq ans de travaux subalternes dans le couvent de Saint-François de Mexico, il s’y chargea du soin des jardins. Presque à la même époque, l’inquisition cessa d’exister, et le couvent du Desierto fut abandonné comme trop insalubre. Depuis long-temps, un pèlerinage que fray Epigmenio fait chaque année à la même époque dans ce couvent ruiné perpétue seul le souvenir de cet événement.

Fray Serapio se tut. J’étais accablé de sommeil ; il me sembla que lui aussi tombait de fatigue, et je crus devoir lui épargner mes réflexions sur le récit que je venais d’entendre. Déjà je me couchais à côté de mes compagnons profondément endormis, quand le franciscain me secoua par le bras et m’invita précipitamment à le suivre. Je me levai et me plaçai à côté de lui à une fenêtre d’où la vue plongeait sur les cours intérieures du couvent que blanchissaient les premières clartés du jour. Le moine dont la figure triste et sévère m’avait si souvent frappé dans mes promenades au jardin de Saint-François traversait en ce moment une de ces enceintes. Nous remarquâmes que ses pas étaient plus chancelans, sa taille plus courbée que de coutume. Quand il se fut éloigné : — Suivez-moi, me dit fray Serapio, dans la cellule qui fut la sienne et qu’il vient de quitter. — Cette cellule où nous arrivâmes bientôt ne se distinguait en rien des autres. Les murs étaient complètement nus ; le vent sifflait à travers les plantes parasites qui croissaient entre les pierres disjointes. Une torche de sapin plantée dans un des interstices de la muraille achevait de se consumer ; fray Serapio raviva la flamme près de s’éteindre, et, avec toute l’obstination d’un cicérone consciencieux, il prétendit me faire reconnaître sur la muraille la trace des cinq doigts de l’inconnu qui avait poignardé le moine dans sa prison. Je voulus bien, par condescendance, renoncer à voir l’effet de l’humidité dans les taches noirâtres qui semblaient à mon compagnon l’empreinte exacte de la main de Satan. Je saisis cependant cette occasion pour faire remarquer à l’excellent fray Serapio que l’histoire de son malheureux confrère s’expliquait parfaitement sans l’intervention du diable. Probablement les supérieurs de