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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/961

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Il est une autre nationalité pour laquelle nous voudrions ressentir le même penchant sans pouvoir jamais y réussir assez, c’est la nationalité irlandaise. Nous l’avouons, tout en étant sincèrement touchés des misères de l’Irlande, nous ne pouvons nous en émouvoir d’une façon plus profonde que ceux même qui les souffrent. Ce peuple enfant tromperait jusqu’à la pitié. Le voilà maintenant qui se reprend plus que jamais à la folle adoration de cette fausse idole du rappel, et qui escorte en aveugle les chefs les moins dignes. Nous avons dernièrement expliqué l’ensemble des élections anglaises ; les élections irlandaises, tout récemment terminées, méritent une mention spéciale, tant elles sont caractéristiques. Ce qu’il y a d’effervescence puérile dans les masses, d’absurde brutalité dans les leaders populaires, on ne l’imagine point, si l’on n’écoute jour par jour les échos bizarres des hustings irlandais. La grossièreté de la populace anglaise ne manque jamais d’un certain sens ; elle a même en ses excès quelque chose de plus rassis que ce délire furieux des bons gars du Tipperary, et il n’est pas de candidat anglais qui consentit à être appuyé avec les colères excentriques qui sont presque la règle des luttes électorales de l’Irlande. Essayons seulement d’en donner une idée.

Il s’agit d’une élection de comté dans le Tipperary. Un prêtre de l’église catholique, l’archidiacre Laffan, se lève au milieu d’une explosion de bravos. Il tire de sa poche un numéro du Times, et le jetant avec violence sur la table : « Voilà votre discours de Lincoln, » dit-il à M. Collett, assis à côté de lui. (M. Collett est le candidat ennemi, qui, déjà malheureux en Angleterre, vient chercher un plus rude désappointement en Irlande.) « Qui donc allez-vous aujourd’hui porter, gentlemen tories du Tipperary ? Vous me faite honte. Qui allez-vous porter, je le répète, respectables propriétaires indépendans du Tipperary ? L’homme qui siégeait aux communes le jour où Roebuck vous a appelé des meurtriers et qui ne s’est point levé pour vous défendre. O respectables descendans de l’aristocratie du Tipperary, vous êtes tories, c’est vrai, mais je vous aime encore mieux que je n’aime John Bull, et c’est John Bull qui rira de vous quand il verra vos domaines confisqués et vos enfans mendier. Ces gueux d’Anglais n’ont pas dans le cœur une goutte du lait de la tendresse humaine. Qu’est-ce que veut ce vilain monsieur ? (Montrant M. Collett du doigt.) N’est-ce pas que c’est un laid personnage ? (M. Collett commence à écrire sur son portefeuille.) Mettez cela dans vos papiers ; mettez cela dans votre tabatière, comme nous disons en Tipperary, et ne me regardez pas si fort de travers, monsieur ! Ne croyez pas que vous allez m’intimider, monsieur John Bull ! » - Ici le reporter remarque que c’était réellement risible de voir la mine confuse et colère du pauvre M. Collett, qui ne s’attendait pas à cette chaude attaque de la part du très révérend gentleman. — Celui-ci continue : « Collett, on ne vous a pas trouvé assez bon pour Lincoln, et vous vous croyez bon pour Tipperary. L’Angleterre se fait beaucoup d’argent en revendant les vieux habits, c’est son métier d’être revendeuse ; aussi voilà qu’elle nous dépêche un député d’occasion : cela suffit bien pour Paddy, a-t-on sans doute pensé. Ah ! vous avez eu 200 suffrages à Lincoln, et vous venez essayer les gars du Tipperary ! (Quelle chance ! crie une voix.) Oui, il a de la chance, reprend le vénérable archidiacre ; il y a déjà plus de votans contre lui dans mes deux paroisses qu’il n’y en a pour lui dans toute la baronie. Mettez