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paysans. René n’en regarde pas davantage, sa balle part, et l’homme tombe. Jean, réveillé en sursaut, accourt avec Miélette et plusieurs autres. On débarrasse d’abord le cadavre d’un sac de cuir qui se trouve plein de cartouches et de pierres à fusil que les chouans attendaient, puis on regarde au visage !… C’était leur messager le plus fidèle et un compatriote des Cottereau, celui-là même qui, étant cocher du prince de Talmont, avait fait monter la veuve des Poiriers dans son équipage pour la conduire au roi ! Cette fois Jean ne fut point maître de sa colère.

— Ah ! malheureux ! s’écria-t-il en se précipitant vers René, voilà trop de sang qui crie contre notre nom ; il faut que tu sois puni devant le ciel du bon Dieu !

Il le couchait en joue ; les chouans se jetèrent sur lui, et Michel Cribier lui arracha son fusil.

— Tu désarmes ton capitaine ! cria Jean égaré.

— Non, dit Cribier, j’empêche qu’il y ait parmi nous un Caïn.

À ce mot, Jean recula avec un cri, cacha sa figure dans ses mains, et, courant au plus épais du fourré, il s’y laissa tomber à genoux.

Ces scènes terribles étaient parfois entrecoupées d’épisodes moins sombres. Lorsque les chouans avaient vu s’éloigner les détachemens républicains et que le soleil brillait sur les placis, ils sortaient de leurs tanières pour s’exercer à quelques-uns des jeux des paroisses ou pour danser les rondes du pays. On entendait alors ce chœur de voix rustiques s’élever joyeusement dans les clairières des bois, et les femmes, que la terreur tenait renfermées dans leurs cabanes, venaient timidement sur le seuil et se disaient l’une à l’autre : — Voilà les gas qui prennent courage, demain il y aura de la poudre brûlée. D’autres fois, quand les chouans entraient dans un bourg, ils couraient à l’église, et, au risque de faire connaître leur présence aux cantonnemens patriotes, ils se mettaient à sonner l’Angelus. Ce bruit des cloches, qu’ils avaient cessé d’entendre depuis si long-temps, leur causait une joie inexprimable ; tous s’agenouillaient la tête découverte et attendris jusqu’aux larmes. On eût dit que, comme dans la ballade de Schiller, ce tintement évoquait devant leurs yeux les plus touchantes images du passé, joies de la naissance, ivresses du mariage, religieuses tristesses des funérailles ! C’était pour eux tout le poème de la vie chanté par la voix du village natal.

Jean Chouan ne prenait point part à ces joies. Depuis le dernier meurtre de René et l’emportement qui avait failli le rendre fratricide, il était tombé dans une sombre tristesse ; le sang versé lui faisait horreur. Un jour, obligé de se porter sur le passage d’un convoi, il donna ordre à sa troupe de ne tirer qu’après lui, et laissa passer les républicains sans faire feu. Ses compagnons murmuraient de pareils ménagemens, mais Jean faisait toujours la même réponse : — Les Cottereau