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ses fermiers et de ses gens ; il appelle un prêtre pour se confesser ; il fait préparer sept quarts d’eau-de-vie, charger les armes et seller les chevaux ; la seule chose qu’on ait dite à la bande, c’est qu’on s’en allait en guerre. -Chez Jean Lebinski, on battait en grange quand arrive le bruit de l’insurrection ; il rassemble ses batteurs polonais et leur dit « Enfans, comptez que vous avez ici battu votre dernière gerbe ; prenez congé de moi et de vos femmes. Poleski va venir avec mille hommes, vous le suivrez ; voyez à ne pas manquer de haches, de fourches et de bonnes cordes. Vous marcherez vers Bromberg. Jetez-vous sur le militaire : il vous fusillera, vous, pour commencer ; mais bientôt il sera des vôtres, et vous passerez ensuite aux employés. Tuez-en ce qu’il faudra. Je ne vais pas avec vous, je suis trop vieux, mais je vous donne mon cher fils et mes braves chevaux. » L’un des batteurs répond qu’il est sujet du roi, qu’il lui a prêté serment dans la landwehr, et qu’il ne lèvera point la main contre lui. « Mon petit frère, dit le vieux gentilhomme, si tu ne marches pas, on te cassera la tête. » Les pauvres paysans, n’osant ni résister aux insurgés ni les accompagner, s’enfuient dans les bois. On n’aurait qu’à parcourir les annales du procès de Berlin, on multiplierait à l’infini ces bizarres tableaux.

Les modérés de Posen comprenaient bien l’infirmité d’un pareil ordre social, quand ils suppliaient les démocrates de ne pas parler avec une ostentation si provoquante des vingt millions de Polonais qui devaient, à les entendre, se lever au premier appel. Poursuivant sans tant d’impatience l’émancipation à laquelle voulaient voler les radicaux, ils sentaient que le plus énergique mobile de cette émancipation si désirée, ce n’était pas la force inerte du nombre, c’était la claire conscience d’une nationalité commune. Le Cracovien, disaient-ils, aime sa patrie autant qu’homme sur terre ; le Lithuanien prie chaque jour « pour sa divine mère Pologne ; » le Mazovien est persuadé que, « si Dieu avait à refaire le monde, il n’y mettrait que des gens de Mazovie ; » mais partout ailleurs, mais dans la masse entière du peuple polonais, quelle défaillance !

Cette défaillance du sentiment national, les modérés avaient entrepris de la combattre par une propagande toute de conciliation et de paix. Unis de cœur avec les démocrates, ils différaient dans le choix de leurs procédés politiques. Ils n’auraient peut-être pas eu cette brûlante activité qui avait introduit la pensée démocratique en Pologne : ils avaient l’activité sereine et féconde qui fait seule fructifier les pensées dignes de mûrir. Ils approuvaient le généreux dépouillement que les démocrates prêchaient aux propriétaires : ils réservaient dans l’exécution les droits de la prudence. Ils n’auraient pas improvisé chez eux notre nuit du 4 août : ils prétendaient en organiser les improvisations. Pour ranimer la nationalité languissante, ils comptaient par-dessus tout