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réunis, s’attache à la lâcheté ? Qu’on plante dans chaque atelier un poteau avec cette inscription : « Dans une association de frères qui travaillent, tout paresseux est un voleur. »

On le voit en lisant ceci, M. Louis Blanc ne réforme pas, il nivelle. L’égalité devant la loi, l’égalité des droits civils et politiques, ce principe proclamé par nos pères et scellé de leur sang, ne suffit plus aux socialistes du jour. Ils ne visent à rien moins qu’à l’égalité des conditions et des fortunes. L’utopie débute par rogner la main-d’œuvre, elle portera bientôt la mutilation jusque sur la propriété. La logique en fait une loi : si nul n’a le droit de gagner plus qu’un autre, comment quelqu’un serait-il reçu à posséder plus que son voisin ? Le partage des biens devient la conséquence directe du nivellement des salaires, et l’homme aux quarante écus est le type de la société organisée suivant le nouveau modèle.

On comprendrait que de tels rêves eussent germé dans le cerveau creux de quelqu’un de ces athées qui professent que le monde est l’œuvre du hasard ; mais M. Louis Blanc révère Newton, il admire les lois qui président à l’arrangement de l’univers : c’est déjà croire à la Providence. Or, la Providence a eu ses desseins, en n’attribuant pas des facultés égales à tous les hommes ; si elle les a fait naître avec des aptitudes diverses, c’est apparemment pour assigner à chacun sa place et pour ne pas confondre ensemble toutes les destinées. Dieu a créé l’inégalité des forces pour établir la hiérarchie, et par la hiérarchie l’ordre. Les mêmes facultés n’ont pas été données à tous les hommes, parce que les uns doivent commander et les autres obéir. Dans les premiers âges de la société, l’obéissance était imposée ; aujourd’hui elle est raisonnée et libre : voilà toute la différence. A l’origine de la civilisation, la force musculaire et le courage formaient les titres au commandement ; plus tard, la direction appartint à l’intelligence ; aujourd’hui l’intelligence ne suffit plus, et la sympathie devient nécessaire : pour guider les hommes, il faut les aimer et se dévouer à eux.

A toutes les époques de l’histoire, les peuples ont reconnu, dans les supériorités qui se manifestaient parmi eux, le doigt de la Providence. Pontifes, législateurs, guerriers, philosophes, révélateurs de l’industrie, des arts ou des sciences, toutes ces natures d’élite leur ont apparu comme les élus, comme les envoyés de Dieu. Il n’y a pas une constitution, écrite ou non écrite, gravée dans les lois ou dans les mœurs, qui ne respecte et qui ne consacre les inégalités naturelles, qui n’admette que ceux qui savent gouverner gouvernent, que ceux qui savent travailler, calculer, administrer et trafiquer parviennent à la richesse. M. Louis Blanc dira-t-il, comme ce personnage de Molière qui plaçait le cœur à droite : « Nous avons changé tout cela ? »