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ce jour, a-t-il dit dans sa proclamation du 21 mars, la Prusse se transforme en Allemagne. » Cette sentence magnifique d’un roi qui, battu par ses sujets, voulait leur donner le change sur sa défaite en exaltant chez eux l’esprit de domination, cette façon arbitraire de disposer du sort des autres états quand on a si mal gouverné le sien, tout ce qu’il y avait d’arrogant et d’exclusivement prussien dans cette rhétorique a été vivement senti par l’Allemagne entière. À Munich, la proclamation du roi de Prusse lui a valu les honneurs d’un auto-da-fé en effigie. La Gazette de Vienne lève aujourd’hui le masque des politesses officielles pour combattre à outrance la présomption du futur empereur. Cette présomption n’a pas été mieux accueillie par les libéraux de Bade et de Wurtemberg. Toute cette partie de l’Allemagne incline déjà spontanément à la république et ne s’amusera certes pas à jouer le jeu de la Prusse pour reconstruire à nouveau quelque parodie du saint-empire, Tout le monde comprend d’ailleurs que, quelle que soit la forme sous laquelle se produira l’unité du corps germanique, chacun des citoyens membres de ce vaste corps a des droits égaux du moment que la reconstitution du pacte est soumise à des suffrages réguliers. La première assemblée vraiment nationale du peuple allemand s’ouvrira bientôt à Francfort. Il ne se peut pas que cette assemblée ne soit qu’une succursale des états-généraux de Berlin. Ces états, tour à tour et inutilement convoqués pour le 27 et pour le 2 avril, ont été rejoindre dans les limbes de l’histoire toutes les institutions avortées. La révolution a soufflé sur cette diète encore pleine de la pensée du moyen-âge, comme elle a soufflé sur le congrès que les princes allemands devaient tenir à Dresde dans toutes les règles de la vieille diplomatie. Le peuple allemand va lui-même décider de son sort. Ce qu’il fera sera bien fait. L’unité qu’il se donnera dans la pleine jouissance de ses libertés ne saurait être hostile à la France comme le serait probablement toute hégémonie imposée par la politique d’un cabinet.

Cette unité aura-t-elle un chef permanent ? fonctionnera-t-elle au moyen d’un pouvoir exécutif délégué à perpétuité pour la représenter ? Qui tenterait aujourd’hui de rien prédire ? Il est un point cependant sur lequel on peut d’avance affirmer. Que l’Allemagne jouisse ou non d’un empereur, qu’elle garde ou renvoie ses trente-deux souverains, qu’elle les égalise ou les subordonne dans une hiérarchie de son goût, l’embarras sera toujours de décider entre l’Autriche et la Prusse, de mettre l’une au-dessus de l’autre, ou de les mettre toutes les deux au niveau de tout le monde. Il semble qu’on rêve en posant seulement ces alternatives, auxquelles hier même on n’eût pas essayé de marquer une date dans le plus lointain avenir. En tout cas, les puissances d’hier gardent encore aujourd’hui assez de réalité pour ne pas accepter sans combat les alternatives qui leur seraient trop défavorables. Ce serait, par exemple, une erreur de croire que la dissolution de l’Autriche doive suivre immédiatement la perte de ses provinces italiennes et polonaises. Avec les pays allemands, avec les pays hongrois, avec la Bohème, bien plus germanisée qu’elle ne voudrait elle-même se l’avouer, l’Autriche peut encore se défendre. Il faut seulement qu’elle sache grouper tant de populations différentes dans une de ces unions fédératives pour lesquelles l’Europe orientale paraîtrait assez naturellement disposée. Nous ne pensons pas que l’anéantissement de l’Autriche réponde à l’intérêt bien entendu de la civilisation. Il vaudrait mieux à coup sûr que ce vieil établissement politique gardât