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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/25

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Je ne m’expliquais guère la chaleur avec laquelle le lieutenant parlait d’une mission qui semblait n’avoir pour lui aucun avantage apparent ; mais, sans lui adresser de nouvelles questions, je me bornai à lui faire part du projet que j’avais formé de me joindre à l’escorte de la conducta. Don Blas accueillit assez froidement d’abord cette ouverture ; puis, voyant que c’était de ma part une intention bien arrêtée, il s’applaudit, non sans affectation, de m’avoir pour compagnon de route. Malheureusement il était impossible encore de fixer le jour de notre départ, et bien des dangers, quoi qu’en dît don Blas, menaçaient le précieux convoi.

Vingt-quatre heures après notre arrivée dans la ville, le bruit se répandit que les généraux Santa-Anna et Valencia s’avançaient à la tête de deux divisions pour obtenir le redressement des griefs qu’on imputait au gouvernement de Bustamante. Bientôt on entendit le canon gronder. Dès-lors, les événemens marchèrent rapidement. Des actions, non sans importance, s’étaient engagées entre les troupes du gouvernement et les factieux qui s’étaient avancés pour cerner la plana Mayor et avaient élevé une redoute à deux pas de la maison située à l’angle des rues San-Agustin et Secunda Monterilla. On apprit enfin, à la consternation générale, que la garnison du palais, corrompue par les rebelles, s’était emparée, au sein du palais même, de la personne du président. Au milieu de ce conflit, je n’avais plus entendu parler de don Blas, quand, le matin du jour qui suivit ces événemens, des coups redoublés frappés à la porte cochère m’éveillèrent en sursaut. Quelques minutes après, je vis entrer dans ma chambre le lieutenant en grande tenue. Une longue barbe, des cheveux en désordre, une figure noircie de poudre, prouvaient, ou du moins semblaient prouver qu’il avait largement pris sa part des engagemens antérieurs. Je le félicitai sur sa tenue belliqueuse. Don Blas reçut mes éloges en homme qui sait les avoir mérités, et m’apprit avec un certain air d’importance qu’il venait tenir garnison sur la terrasse de ma maison, qui dominait la place du palais.

— J’ai choisi votre maison, sauf votre approbation, me dit-il, parce qu’elle est dans le voisinage du palais présidentiel, et pour vous montrer ensuite comment on gagne un grade de capitaine. J’espère que vous me suivrez sur la terrasse, où ma compagnie stationne déjà.

— J’assisterai avec joie, répondis-je, à votre triomphe, et, si vous voulez me permettre de m’habiller, je m’empresserai d’aller prendre ma place près de vous ; seulement j’aurai soin de me mettre parfaitement à l’abri des balles, car je n’ai pas le moindre grade à gagner. Mais, à propos, vous êtes donc encore dans l’infanterie ?

— J’ai eu des raisons pour ne pas changer encore, répondit le lieutenant avec une légère hésitation. Dans une bagarre semblable, un