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qui se gravent tout d’abord dans la mémoire comme certains récits de MM. Augustin Thierry et Mérimée.

Le Baudouin, comte de Flandre, couronné empereur de Constantinople, de M. Louis Gallait, ne rappelle en rien le talent dont cet artiste avait fait preuve à ses débuts. Le contour a quelque chose de flasque et d’indécis, le coloris est faux, l’exécution lourde. Cette grande toile d’un ton jaunâtre dans les lumières, bistré dans les ombres, n’accuse ni effort, ni volonté, ni érudition. Et pourtant, quel heureux contraste s’offrait au peintre dans l’expression de cette joie bruyante des Français et de cette tremblante adulation des Grecs dont parle Gibbon ! et quelles indications précises et frappantes l’artiste eût pu extraire des relations de Villehardouin et du Grec Nicétas, tous deux témoins oculaires de cette grande révolution politique et sociale ! Quant aux accessoires et aux costumes, que de richesses sont renfermées dans les manuscrits byzantins dont M. Gallait eût pu tirer parti ! N’eût-il consulté que cette Bible de saint Grégoire de Nazianze, apportée en France par Catherine de Médicis, et qui figure à la Bibliothèque nationale sous le n° 510, il eût trouvé là des renseignemens inappréciables sur l’ornementation, les costumes, l’architecture, enfin sur l’ensemble du moyen-âge grec dans toutes ses pompeuses imperfections, et son œuvre eût acquis certainement une tout autre signification, car c’est à ces sujets du genre admiratif que l’érudition et la couleur locale conviennent avant tout.

Le Boniface de Montferrat élu chef de la quatrième croisade, de M. Decaisne, pèche sans doute aussi par le manque de précision historique. Il y a néanmoins dans ce tableau des qualités qu’on ne rencontre pas chez M. Gallait, quelque chose de réel, d’humain, qui est de toutes les époques. M. Decaisne s’adresse au cœur, et il a raison. La Jeune Malade et le Départ sont de charmantes élégies dont le rhythme manque peut-être un peu d’élévation, mais qui émeuvent.

La Prise de Bairuth par Amaury, de M. Alexandre Hesse, est destinée, comme les tableaux de MM. Gallait et Decaisne, à la décoration de la salle des croisades du musée de Versailles. Il y a plus de science et plus de vigueur dans ce dernier ouvrage ; mais cette science tourne au pédantisme, et cette vigueur à la dureté. Il semble qu’avec le temps le talent de M. Alexandre Hesse, si large et si varié dans son Enterrement du Titien, si souple et si gracieux dans son Léonard de Vinci, s’appauvrisse et se pétrifie. L’éclat exagéré des lumières, le manque de transparence des ombres qui poussent an noir, et par-dessus tout une netteté dans les contours qui va jusqu’à la dureté, toutes ces imperfections donnent à ses derniers ouvrages un aspect qui n’est rien moins que séduisant. L’œil comme l’oreille est affecté par les dissonnances.

L’école que l’on pourrait appeler tempérée, et qui participe à la fois de l’histoire et du genre, a, cette année, de nombreux représentans au