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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 avril 1848.

La première impression qui nous arrive en regardant derrière nous les quelques jours qui viennent encore de passer, c’est le sentiment de cette universelle tristesse qui enveloppe et assombrit la France. Les grands événemens européens avaient l’autre mois secoué toutes les ames et fait diversion aux soucis qui les préoccupaient. On vivait à Berlin, à Vienne, à Milan ; peu s’en fallait qu’on n’oubliât Paris. Depuis, le mouvement s’étant partout régularisé, les émotions du dehors sont devenues moins saisissantes, et nous sommes retombés sur nous-mêmes, face à face avec nos propres anxiétés. Ces anxiétés sont vraiment d’espèce nouvelle ; à la fois énervantes et poignantes, elles irritent l’esprit et le désemparent, elles le lassent et le brisent tout en le provoquant. Le pays offre à l’heure qu’il est un aspect qu’on ne saurait ni dissimuler tout-à-fait, ni tout-à-fait dépeindre ; son abattement est si profond, qu’on voudrait en vain prendre sur soi pour se le cacher ou le cacher aux autres, et il est si particulier, qu’on se trouve fort embarrassé de le définir.

Le pays a connu les muettes souffrances du temps de la terreur ; il a laissé l’empire étouffer la vie publique sous l’exaltation des triomphes militaires ; enfin, durant ces dernières années, il s’était engourdi comme à plaisir dans une mortelle indifférence : rien de tout cela ne ressemble pourtant à son état d’aujourd’hui, et il n’y a point de rapprochement qui puisse aider à rendre cette atonie douloureuse contre laquelle il se débat. On se dit bien qu’on est à la veille des élections, que de ces élections dépendent nos destinées, que tant vaudra ce scrutin, tant vaudra la France, que chacun a donc là son devoir et un grand devoir à remplir ; chacun est très décidé à s’acquitter du sien, et cependant on