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s’introduisait des motifs très humains jusque dans la direction supérieure dés circonstances les plus graves.

Les républicains de la veille, très neufs pour la pratique des affaires, n’y apportaient pas, on doit le dire, des qualités particulièrement éminentes. La situation les a pris comme elle les a trouvés. Nous exceptons, bien entendu, ces hautes intelligences qui, habituées à planer dans les sphères abstraites de la science ou de la poésie, élèvent facilement les choses à leur niveau plutôt qu’elles ne se mettent elles-mêmes au niveau des choses ; ces réserves admises, il est évident que, si la tâche révolutionnaire n’est pas au-dessus du caractère de ceux qui l’ont commencée, ils n’ont pas néanmoins toutes les facultés nécessaires pour la mener à bien. Les hommes ne suffisent pas à l’œuvre. Or, le propre de cette sorte d’insuffisance, c’est précisément, non point de s’ignorer, mais de refuser un concours qui lui est toujours suspect, parce qu’elle a toujours peur de se trahir en s’associant à ce qui n’est pas elle. Il y a beaucoup de cette jalousie dans l’anathème implacable prononcé par les républicains de la veille contre les républicains du lendemain. Sans doute il ne faut point provoquer de réactions violentes en brusquant les fusions ; mais c’est aussi agiter et passionner la foule que d’empêcher les accommodemens les plus sensés, en mettant à l’index tout ce qui n’est pas soi et ses amis.

Le pays n’a plus maintenant d’illusion sur cette situation trop complexe du gouvernement provisoire, et c’est là ce qui le décourage, c’est là ce qui lui fait ajourner toute espérance et toute satisfaction jusqu’à l’ouverture de l’assemblée, dont il attend un salut qu’il ne voit nulle part ailleurs. Le pays s’aperçoit que le gouvernement est menacé tout comme lui par le voisinage des influences socialistes qui l’assiègent, et peut-être même le divisent. Le pays sent que le gouvernement, par tel ou tel motif, se réduit trop à n’être que l’instrument d’un ancien parti politique, qu’il lui manque ainsi le nerf indispensable pour dompter la crise, qu’il lui manque même la volonté bien ferme de se consolider sur de meilleures bases par un ralliement général. Le pays enfin, dans son expression la plus vraie, la plus fidèle, par ses représentans les plus naturels, par tout ce qui a sur le sol national de la consistance et de l’autorité, le pays se plaint qu’on ne se fie pas assez à lui, qu’on veuille trop lui souffler son rôle et lui conduire la main, au lieu de s’en rapporter à son mouvement spontané. Capacité trop moyenne pour bien conduire, prétention absolue de conduire tout, dictature impérieuse vis-à-vis de la société réelle, complaisance au moins exagérée vis-à-vis des utopies socialistes, voilà les torts volontaires ou involontaires que l’on entend presque partout reprocher aux dominateurs de la république naissante. On ne se dissimule pas les embarras de leur position, personne ne leur refuse la juste dose de reconnaissance qui leur est due ; on s’attriste seulement à la vue des fautes gratuites qui compromettent leur mission.

La situation financière et commerciale révèle trop cruellement le vice du système, si toutefois il est possible qu’il y ait un système quelconque au milieu des variations inséparables du provisoire. C’est par l’état de la Bourse et du commerce que se traduisent toutes les phases de la situation politique. Aussi, n’y a-t-il point à s’y tromper, ce ne sera jamais qu’un remède politique qui nous tirera de la détresse d’argent dont nous souffrons maintenant par toute la France. Le mal est dans la disparition du capital, dans l’interruption du travail :