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doués, les Philippines, qui les réunissent toutes, gisent sans vie et sans force, comme pour faire éclater au grand jour, avec les abus de la domination espagnole, son insouciance profonde, sa fatale ignorance. Si dans l’archipel la nature a tout fait, les Espagnols semblent avoir pris à tâche de détruire et d’annuler son action généreuse. Avant de montrer les obstacles qu’oppose encore aujourd’hui l’administration de la métropole au développement de cette riche colonie, il faut interroger l’histoire, et on verra que les misères actuelles ne font que continuer d’anciens abus.


II.

Pendant que Fernand Cortez soumettait le Mexique à l’empire de Charles V, pendant que Pizarre et Almagro, s’enfonçant dans l’Amérique du Sud, préludaient à leurs sanglans exploits et rêvaient déjà la conquête du Pérou, un gentilhomme portugais, au service de l’Espagne, étendait jusqu’aux Indes orientales la gloire et la domination de sa patrie adoptive. En 1519, Magellan quittait l’Europe avec une faible division de quelques navires ; le 1er novembre de la même année, il franchissait le détroit qui porte son nom et s’élançait dans l’Océan Pacifique, qu’il traversa dans sa plus grande largeur sans avoir rencontré une seule des îles nombreuses qui couvrent cette mer. Après six mois d’une navigation dangereuse et pénible, pendant laquelle sa fermeté et sa résolution le soutinrent seules contre les murmures de ses équipages, contre les hésitations de ses lieutenans, Magellan découvrit enfin de grandes terres, un archipel nouveau ; il planta une croix comme symbole de conquête et trouva bientôt une mort sanglante dans une de ces entreprises hardies où se plaisait son audace. Les Philippines étaient découvertes, l’Espagne apparaissait aux Indes orientales, sur ce vaste et lointain théâtre de gloire où les Portugais, sous les ordres de Vasco de Gama et d’Albuquerque, fondaient alors leur empire aussi brillant qu’éphémère. La présence des Espagnols dans ces îles allait réveiller entre les deux peuples d’antiques haines, une jalousie mal éteinte, des prétentions rivales que l’autorité ou plutôt l’ignorance des pontifes de Rome s’était montrée inhabile à limiter. Heureusement le traité de Sarragosse, signé en 1529, fit cesser les hostilités déjà commencées et les craintes du Portugal.

Profitant habilement des embarras financiers de Charles V au moment de sa lutte avec la France et l’Allemagne protestante, les Portugais obtinrent de l’empereur la cession des Philippines, dont seuls ils comprenaient l’importance politique sans en connaître les richesses. En échange de 25,000 ducats, Charles renonça à tous ses droits sur l’archipel, et les terres découvertes par Magellan rentrèrent sous la domination du Portugal ; mais déjà l’empire des Indes, trop vaste, trop étendu pour un peuple numériquement aussi faible que les Portugais, chancelait sous eux, échappait à leurs mains débiles, s’éteignait avec les grands hommes qui l’avaient fondé par leurs victoires. Les Philippines, cédées par l’Espagne, forcément négligées par le Portugal, restèrent pendant un demi-siècle presque inconnues en Europe, jusqu’au jour où Philippe II, succédant à son père Charles V, brisa le traité de Sarragosse et résolut de reconquérir l’archipel. Une escadre nombreuse fut aussitôt placée sous les ordres de don Juan de Legapsi, hardi gentilhomme, digne, autant par ses talens que par son courage et