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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/35

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Le capitaine traita mes soupçons de pure chimère.

— Je suis parfaitement désintéressé dans la question, répondis-je, car malheureusement aucun de ces précieux caissons ne m’appartient, mais je ne puis m’empêcher de regretter l’absence du pauvre Victoriano.

Le convoi se remit en mouvement ; néanmoins, quoi qu’on fît pour accélérer la marche, les mules paraissaient avoir perdu leur vigueur habituelle, comme si l’on eût mêlé à leur ration quelque drogue énervante. Au moment de dépasser Las Vigas, l’arriero tint une espèce de conseil avec le chef de l’escorte. Le premier était d’avis de passer la nuit dans ce village ; don Blas opinait pour pousser jusqu’à la Hoya, alléguant qu’un retard dans le convoi qu’on attendait à Vera-Cruz, et dont on connaissait les étapes par avance, répandrait une alarme préjudiciable. Malheureusement pour le muletier, cet avis l’emporta, et on résolut de gagner la Hoya.

Nulle part peut-être au Mexique le passage toujours si pénible de la température des plaines à celle des régions élevées ne se fait sentir plus vivement qu’aux approches de Las Vigas[1]. Quelques instans avant d’atteindre ce village, on est brusquement transporté au milieu de la végétation des pays froids. Là, plus de brise chaude, plus de ciel bleu, mais une bise qui souffle aigrement à travers les vapeurs glacées, un ciel terne, un terrain aride, déchiré, bouleversé comme par une lutte de Titans. Une obscurité presque complète enveloppait le paysage au moment où nous passions près de Las Vigas. Le brouillard, qui d’abord rampait sur le sol et tourbillonnait comme la poussière sous les pieds de nos chevaux, ne tarda pas à monter progressivement et à dérober à nos yeux la cime la plus élevée des sapins. A peine nous distinguions-nous les uns des autres au milieu de la brume qu’un vent froid chassait à notre visage. Des ravins longeaient parallèlement la route, qui traversait des courans de lave refroidie, et il était urgent d’empêcher les mules si richement chargées de dévier du sentier qu’elles avaient à suivre. J’admirais, je l’avoue, le calme de don Blas, chargé d’une responsabilité qui m’effrayait pour lui. Des étincelles jaillissaient, de distance en distance, sous les pieds de la mule de l’arriero, qui, au risque de ses membres, parcourait sans relâche toute la longueur du convoi. Ce pauvre homme m’inspirait un vif intérêt, car sa fortune, son avenir, étaient en jeu ; la responsabilité matérielle pesait seule sur lui, et il comptait et recomptait ses mules avec une anxiété qui faisait mal à voir. Au moment où la nuit fut complète, don Blas fit deux corps de son escorte. Avec l’un, il gagna la tête du convoi, et laissa le commandement de l’arrière-garde à Juanito, son ex-asistente. Nous cheminions

  1. Petit village situé sur des hauteurs, à sept lieues de Jalapa.