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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/402

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peu à peu aux Arabes leurs moyens d’existence, on les forçait à une guerre sans fin qui n’eût pas été moins onéreuse et moins sanglante pour nous que pour eux, et qui eût abouti nécessairement à leur destruction.

Pour coloniser, il faut commencer par prendre les ferres des Arabes. Ils en ont beaucoup, dit-on, dont ils ne font rien : qu’est-ce que cela fait ? Se regardent-ils moins comme possesseurs du territoire occupé de tout temps par leurs aïeux ? En ont-ils moins des méthodes de culture, arriérées sans doute, fort imparfaites, mais héréditaires, enracinées dans leurs habitudes, et peut-être plus conformes aux nécessités locales qu’on ne croit, qui leur rendent d’immenses jachères indispensables ? On a longuement discuté sur le droit de propriété chez les Arabes, et je reconnais qu’en adoptant toutes les traditions de confiscation des Turcs, on peut arriver à s’attribuer des droits sur beaucoup de terres ; mais, si les tribus n’avaient plus la propriété de certaines parties du sol, elles en avaient conservé l’usage à de certaines conditions ; une race étrangère ne les occupait pas sous leurs yeux. Qu’une tribu soit propriétaire, usufruitière ou simplement fermière du sol, lui prendre ses terres pour les donner à d’autres, c’est toujours, à divers degrés, la déposséder. Qu’on accorde des indemnités ou non, ce premier pas ne peut déjà s’accomplir sans violence.

Passons au second, Voilà un territoire qui était exploité précédemment tout entier par une tribu, et qui est maintenant partagé en deux moitiés, l’une réservée aux Arabes, l’autre concédée à des Européens. Dès ce moment, les deux races sont en présence à toute heure, une lutte d’intérêts et d’amour-propre s’établit entre elles. De part et d’autre, les mœurs et les habitudes sont antipathiques, les souvenirs hostiles ; on se méprise et on se hait mutuellement. Dans les deux camps, car ce sont bien des camps, on cultive les mêmes produits ; on est donc plus qu’ennemi, on est concurrent. Le colon a peur de l’Arabe ; l’Arabe, à son tour, voit d’un œil de convoitise le bétail et les récoltes du colon. Si l’instinct du vol se réveille chez l’un ; l’autre a bien vite cet instinct d’oppression qui naît de la conquête ; la guerre éclate par un assassinat isolé et se poursuit par une double razzia, tout est à recommencer ; seulement, si l’on veut que le village européen jouisse de quelque repos, il a fallu exterminer ou déporter la tribu.

C’eût été là, qu’on n’en doute pas, l’histoire de la colonisation. La Providence, en rendant les campagnes de l’Afrique à peu près inhabitables pour les Européens, a détourné de nous cette fatalité de spoliation et de meurtre. Nous devons l’en remercier. Que de sang et d’argent nous aurons épargné ! Quelle responsabilité devant l’histoire nous aurons évitée ! Au lieu de chercher à nous passer des Arabes, travaillons au contraire à ce qu’ils ne puissent se passer de nous ; au lieu de violer