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plus engagé. « Le gouvernement du pape, disait M. le marquis Capponi, tel qu’il est constitué aujourd’hui, ne peut plus subsister, parce qu’il est forcé par sa nature de redouter toute réforme, d’empêcher toute amélioration. De jour en jour plus étranger aux besoins des populations, écrasé sous le poids de ses propres fautes, affaibli par l’ignorance toujours croissante de ses fonctionnaires, sans argent et sans crédit, il ne pourra bientôt plus soudoyer ses propres partisans, payer les Suisses et faire face au déficit qui s’augmente d’année en année. Il ne peut trouver aucun remède, parce que dans un corps déjà pourri les remèdes se changent en venin[1]. » On n’attendait rien de Grégoire XVI, vieillard entêté, égoïste et d’un esprit borné, qui, s’il pressentait la catastrophe, se flattait au moins de pouvoir la retarder pendant le peu de jours qui lui restaient à vivre ; mais les prévisions se portaient au-delà du conclave que la vieillesse avancée du pape rendait prochain : on entrevoyait avec effroi la continuation et pour ainsi dire la consécration du même système dans la personne du cardinal Lambruschini, ministre de Grégoire XVI, depuis quinze années l’ame du gouvernement pontifical, et qui de longue main avait préparé son élection en peuplant le sacré collège de ses créatures. Contre tous les calculs de la prudence humaine, ces prévisions furent trompées. On sait par quel choix inattendu de ceux même qui l’avaient fait la succession de Grégoire XVI passa en quarante-huit heures au plus ignoré de ceux qui pouvaient la briguer, à un évêque obscur, venu la veille du fond de sa province où il avait jusque-là vécu dans les bonnes œuvres, hors des préoccupations et des intrigues de la politique, et à qui la droiture de son cœur, la loyauté de son caractère, révélèrent instinctivement le noble rôle qu’il était appelé à remplir. Les premières paroles et les premiers actes du cardinal Mastaï devenu pape prouvèrent qu’il avait le sentiment de la situation, et l’Italie le comprit si bien, que dans le prince réformateur elle salua le libérateur de la patrie commune, et que dans M. Gioberti, dont les paroles se réalisaient si inopinément, elle vit presque un prophète, le héraut et le précurseur du nouveau Messie.

Dès-lors le centre d’action de la cause libérale se trouve marqué à Rome, et c’est de Rome en effet qu’est partie l’impulsion qui, se communiquant de proche en proche, a gagné successivement la Toscane et le Piémont, Naples et la Lombardie. Les mesures prises par le gouvernement du nouveau pape excitèrent dans toute l’Italie une sensation trop profonde, elles rencontrèrent une adhésion trop significative, pour que les autres cours pussent sans danger se refuser à suivre un tel exemple. La liberté de la presse, l’institution de la garde nationale, la convocation d’une consulte destinée à devenir avant peu une assemblée nationale, les réformes dans l’administration intérieure, ne tardèrent pas à être obtenues en Toscane ; le roi Charles-Albert dut à son tour faire quelques concessions. De toutes parts, les populations enthousiasmées réglaient leurs vœux à l’unisson de Rome, réclamaient la faveur d’être gouvernées comme à Rome. A l’imitation de ces magnifiques démonstrations où le peuple romain, parcourant le Corso aux flambeaux, allait porter sous le balcon du Quirinal ses doléances ou ses actions de grace, les Florentins, les Pisans, les

  1. Sulle attuali condizioni della Romagna, di Gino Capponi.