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et les rues étaient encombrées, les barricades élevées comme par enchantement ; hommes, femmes, enfans, vieillards, nobles et plébéiens, conduits par le vénérable comte Casati, podestat de la ville, bénis par l’archevêque, se ruaient sans armes sur une garnison de dix-huit mille hommes, approvisionnée comme pour un siège et munie d’une formidable artillerie, depuis trente ans préparée pour cette heure décisive. Pendant cinq jours, la mitraille a sillonné les rues sans cesse remplies de nouveaux combattans, jusqu’à ce que le général autrichien, qui avait juré de faire de la ville un monceau de cendres, eût été forcé de l’évacuer devant l’insurrection toujours grossissante et les bandes suisses, piémontaises, amenées du dehors par les comtes Litta et Borromeo. Avant ces journées glorieuses, les Milanais passaient généralement en Italie pour des aines amollies ; leurs grandes richesses, la vie d’oisiveté, de luxe et de plaisirs qu’on menait à Milan et qu’encourageait par de honteux moyens l’administration impériale, avaient donné lieu à cette accusation, dont ils se sont héroïquement lavés dans leur propre sang. Aussi un cri d’admiration s’éleva-t-il de toutes les parties de l’Italie, cri de délivrance poussé à la fois par vingt-quatre millions d’hommes ! Fuori i barbari ! vive l’indépendance de l’Italie !

« Lombards mes frères, écrivait de Florence, à la nouvelle des journées de de Milan, le poète Berchet, si les maux que j’ai soufferts pour notre Italie peuvent me donner le droit de vous faire une prière, écoutez-la dans cette heure solennelle qui ne reviendra plus. Lombards, vous ne pourrez être véritablement libres que lorsque l’Italie entière sera indépendante. Ne vous laissez séduire par aucune promesse de l’étranger ; songez qu’un seul anneau non brisé de la chaîne que vous venez de rompre suffit pour vous maintenir esclaves, et avec vous toute l’Italie. N’acceptez d’autres conditions que celle d’une pleine et irrévocable séparation. » Mais déjà toutes les propositions d’armistice avaient été rejetées, et les villes lombardes répondaient à cette voix amie en chassant leurs garnisons et en sonnant le tocsin de clocher en clocher dans toute la plaine du Pô jusqu’aux lagunes ; de toutes parts, en Toscane et dans les états pontificaux, les volontaires s’enrôlaient pour la croisade ; le nouveau ministère sarde, à la tête duquel le roi venait d’appeler le comte Balbo, décrétait l’entrée en Lombardie d’une armée de trente mille hommes, et l’infatigable Salvagnoli, battant chaque matin le rappel dans la Patria, convoquait les populations pour la guerre de l’indépendance au refrain national : Fuori i barbari ! fuori i barbari !

Hors d’Italie les barbares ! C’est en effet la seule pensée qui a animé ces colonnes venues de tous les points de la péninsule pour se ranger sous les ordres du roi Charles-Albert ; c’est la seule pensée qui doive les animer tant que le dernier Autrichien n’aura pas repassé la frontière. Jusqu’alors il faut que tout autre sentiment soit absorbé dans celui de la défense commune, il faut ajourner toute question qui tendrait à détourner de ce but la moindre portion des forces nationales. Ce n’est pas trop de l’Italie entière pour achever la défaite de Radetzky. La campagne n’est point terminée. Loin de là, il est probable que la marche un peu lente et la stratégie classique du roi de Sardaigne auront laissé aux Autrichiens le temps de se reconnaître, de