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Complètement rassuré sur cette question de délicatesse, le brigadier mit pied à terre, et, arrachant les objets de sa convoitise, il les troqua contre les chaussures disparates qu’il portait lui-même.

— Je savais bien, ajouta-t-il, que je finirais par m’équiper complètement

— Écoutez, lui dis-je alors, mon cher Juanito, vous êtes un fidèle serviteur du capitaine, quoique tout à l’heure j’aie soupçonné le contraire ; mais il y a dans tout ceci un mystère que je ne comprends pas, et je vous donnerais volontiers une piastre, si vous vouliez me l’expliquer.

— De grand cœur, me dit Juanito en prenant la piastre que je lui tendais ; aussi bien ne trouverai-je pas tous les jours un confesseur aussi généreux que votre seigneurie.

Le brigadier se remit à cheval, et, pendant que nos montures allaient au pas :

— Vous pensez bien, seigneur cavalier, me dit-il, que je n’ai agi comme vous venez de le voir que par ordre de mon capitaine. Faire fusiller ce mauvais drôle eût été, aux yeux de la justice, un délit qui eût pu nous coûter bien cher ; le remettre entre les mains des juges, c’était lui offrir une belle occasion de se faire acquitter. Le tuer au contraire quand il cherchait à s’évader, ce n’était qu’un cas de légitime répression. Cette tentative d’évasion à laquelle je semblais prêter la main n’était qu’un piège concerté à l’avance entre le capitaine et moi, et tendu à la crédulité de son prisonnier.

— Mais pourquoi votre capitaine en veut-il tant à un homme avec qui jadis il avait eu des rapports intimes ?

— Ah ! ceci est autre chose, reprit Juanito. Avant de dépêcher Verduzco vers un monde meilleur, mon capitaine m’avait chargé de confesser son prisonnier ; c’est ce que j’ai fait. Voici donc ce que j’ai appris et ce que je ne dirai qu’à vous… ou à ceux qui me donneront une piastre pour le savoir. Comptant sur des protections qu’il avait en haut lieu, Verduzco s’était engagé à faire obtenir au capitaine l’autorisation d’escorter la première conduite qui partirait, si celui-ci consentait, moyennant partage, à en laisser piller une partie. Le seigneur don Blas accepta le marché, et je dois dire, pour l’excuser, qu’il comptait plus tard rendre sur ses économies la part qu’il s’adjugeait dans le butin. Or, vous savez ce qui est arrivé au convoi ; mais le plus plaisant de l’affaire, c’est que le coup a été exécuté par une autre bande que celle de Verduzco, qui n’avait pas compté sur cette concurrence. Pendant que le bravo attendait la conduite au-delà de la Hoya, d’autres bandits, mieux inspirés, l’attendaient en-deçà. C’est par ces misérables que le capitaine a été blessé. Il a cru que Verduzco l’avait trahi, et c’est alors