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même sol, les mêmes richesses naturelles, elle a toujours le même nombre d’habitans ; les principes de la production et de la consommation n’ont pas changé chez elle. Ce qui trouble tous les esprits, ce qui détruit la confiance, ce qui épouvante les capitaux, c’est la crainte d’un changement plus radical encore que celui qui s’accomplit réellement. Un inconnu formidable est devant nous ; les plus hardis tremblent devant ces ténèbres. Des souvenirs douloureux oppressent toutes les poitrines, de noirs fantômes passent dans l’air. Que le gouvernement provisoire nous tire de ces frayeurs et de ces incertitudes ; il le doit, et, je dirai plus, il le peut.

Il en est des nations comme des individus : elles ont besoin, pour se rassurer, de voir clair dans leurs affaires. Il n’y a qu’une manière d’y voir clair, c’est de faire son compte, de savoir au juste par livres, sous et deniers, ce qu’on a à dépenser et à recevoir. Ce qui maintenait la confiance il y a un mois, c’est que la monarchie constitutionnelle avait fait son budget de l’année ; ce budget, tant attaqué depuis, avait suffi. Chacun était ou se croyait certain que l’état tiendrait ses engagemens ; il n’en fallait pas davantage aux capitaux pour se risquer. Aujourd’hui, ce qui inquiète tout le monde, c’est que le budget de la république n’est pas fait ; chacun craint un déficit permanent, une succession de banqueroutes, et tout se resserre.

Que le gouvernement républicain publie donc son budget : tout est là. Le rapport de M. Garnier-Pagès ne peut pas être considéré comme un budget, le ton en est à la fois trop vague et trop révolutionnaire. Ce ne sont pas des récriminations contre le gouvernement déchu, récriminations dont tout homme un peu informé connaît la valeur, ce ne sont pas surtout des allégations générales et dénuées de preuves qui peuvent ramener la sécurité des transactions. Il faut des chiffres, des chiffres positifs et précis ; il faut que chaque ministère présente avec détail, comme sous la monarchie, le tableau de ses dépenses, et qu’un budget général des voies et moyens présente en même temps l’ensemble des ressources pour 1848 et 1849. Dès qu’on verra le budget en équilibre, chacun reprendra courage, pas avant.

D’un côté, des dépenses nouvelles sont devenues obligatoires ; de l’autre, toutes les recettes ont fléchi. En même temps le crédit a disparu. Les emprunts volontaires, les dons patriotiques, ne rempliront jamais un pareil déficit. Il faut trancher dans le vif et rétablir au plus tôt la balance. Les mesures de détail, qui se prennent une à une, au jour le jour, comme la prorogation des bons royaux, l’augmentation de l’impôt direct, etc., ne font qu’augmenter les défiances, au lieu de les dissiper. En voyant demander chaque jour de nouveaux sacrifices, le pays craint qu’il n’y ait pas de terme à cette progression ; ce qu’il veut savoir, c’est le point où l’on s’arrêtera. Montrez-le-lui, il sera content.