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religieuses, de théories sociales, depuis le grand et puissant Hegel. Dans cette pacifique bataille des esprits, ou plutôt dans ce solennel concours des idées auquel l’Europe entière avant peu de temps doit consacrer son intelligence virile, le pays de Schiller et de Kant, le pays de Fichte et de Hegel remplira un rôle glorieux. La littérature politique y prendra un accroissement considérable, et sera long-temps la forme la plus importante de la pensée allemande, l’expression nécessaire des exigences, des aspirations de l’homme nouveau. Or, ce n’est pas d’aujourd’hui que la France s’informe des progrès de la raison chez les peuples européens. L’étude des littératures étrangères a rempli un office patriotique et social. Sans renoncer à l’héroïque esprit d’initiative qui est sa mission dans le monde et dont elle fournit en ce moment même de si éclatans témoignages, la France n’a pas voulu s’enfermer dans sa propre gloire, et, comme dit Bossuet, ignorer le genre humain. Cette merveilleuse faculté d’expansion, cette fraternité, ce dévouement inépuisable qu’elle a toujours montré dans l’action, elle l’a porté aussi dans les recherches de l’esprit. Le XVIIIe siècle avait ouvert timidement cette route féconde ; 89 nous y a entraînés. La France de 1848 a sur ce point des devoirs encore plus impérieux à remplir. Le congrès des peuples se prépare. Tâchons de bien nous connaître les uns les autres ; nous abrégerons le travail qui va constituer sur une base solide l’édifice de la société européenne. C’est dans cette intention que les plus humbles soldats de l’intelligence doivent reprendre, avec un courage meilleur et des espérances agrandies, l’étude de la pensée chez tous les peuples.

Cette littérature militante, qui doit acquérir tant de valeur au-delà du Rhin et assumer une responsabilité si sérieuse, n’avait pas toujours complètement satisfait à ses obligations pendant les quinze années qui viennent de s’écouler. Elle avait pris bien souvent des allures qui conviennent mal au génie de l’Allemagne. La verve rapide et lumineuse de Voltaire, l’étincelante raillerie de Paul-Louis Courier, ne sont pas en toute occasion les meilleurs modèles pour nos voisins. Quand on a l’honneur de porter la parole au nom des intérêts généraux, quand on veut représenter les droits sacrés d’une nation, c’est plus qu’une faute de puiser sa force ailleurs que dans le génie même de son peuple. Renoncez donc à ces imitations menteuses, à ces frivoles coquetteries du langage, et songez que tout écrit politique est un acte. Voilà le reproche que j’ai souvent adressé aux écrivains de la jeune Allemagne, et la gravité des circonstances rend ce conseil plus urgent que jamais. La littérature politique, d’ici à quelques années, va être au premier rang ; si elle commettait les mêmes fautes, elle n’obtiendrait jamais cette influence souveraine à laquelle elle peut prétendre. L’Allemagne a produit, au commencement du XVIe siècle, un admirable pamphlet qui représente toute une époque et qui a gagné une bataille décisive. Les