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garde allemande ; le comte Bathiany, ancien chef de l’opposition, dont la popularité avait remplacé depuis quelques années celle de Szécheny, et qui, à ce titre, était devenu président du conseil après la révolution du mois de mars, a été forcé de donner sa démission. La congrégation du comitat de Pesth, sorte de démocratie nobiliaire de la pire espèce, veut imposer au palatin comme premier ministre le député Paul Nagy, chef du parti radical. Ce parti veut hautement la séparation absolue et un roi particulier, élu comme dans l’ancienne constitution ; au besoin la guerre avec l’Autriche, si elle ne veut pas accepter cette révolution radicale.

La popularité du palatin et la fermeté de son ame vont donc subir une grande épreuve. Si le comitat de Pesth met ses candidats au pouvoir, nul doute que ceux-ci ne veuillent aussitôt, ou renverser le jeune archiduc, ou plutôt l’associer et l’entraîner à leurs desseins, en lui offrant cette couronne de Hongrie que son front seul pourrait ceindre. Amis et ennemis, dans la crise actuelle, peuvent s’accorder pour le pousser à choisir entre la fuite ou le trône. Déjà les journaux travaillent le peuple dans ce sens. On montre à l’archiduc que son devoir non-seulement vis-à-vis du pays, mais vis-à-vis de la famille impériale, est de consommer virilement la séparation, et d’accepter cette couronne, perdue irrévocablement pour l’empereur comme pour lui, s’il hésite.

La seconde révolution qui vient d’éclater à Vienne et la retraite de la famille impériale dans le Tyrol peuvent amener cependant un revirement soudain dans les dispositions des Hongrois. C’est le joug de Vienne qu’ils supportaient avec impatience, et non l’autorité de l’empereur. La monarchie autrichienne est plus menacée aujourd’hui qu’au temps de Marie-Thérèse ; qui sait si ce peuple mobile et généreux ne voudra pas la sauver une seconde fois ?

Dans toute hypothèse d’ailleurs, restera la question de la constitution même et de l’ordre social à fonder en Hongrie. Tout y est en l’air. Les réformes radicales et révolutionnaires du mois de mars n’ont fait que joncher le sol de nouvelles ruines. Ainsi, les dîmes ont été abolies : reste à trouver, ce qui est plus difficile, une indemnité pour les dîmes. Les corvées sont supprimées : il ne manque plus à la réforme que des cultivateurs qui veuillent librement labourer la terre, puis des propriétaires qui aient de l’argent pour les payer. Jamais œuvre de rénovation ne rencontra un terrain plus rebelle, plus embarrassé d’obstacles et de contradictions bizarres. Des classes profondément séparées, des nations étrangères, j’ai presque dit ennemies, des religions, des langues, des civilisations sans aucun point de rapprochement, voilà ce qu’il faut unir, confondre, ramener sous le niveau commun de l’esprit moderne. Imaginez un château féodal avec ses donjons, ses créneaux,