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matin ils étaient occupés, et cette occupation était leur sauvegarde. Or, qu’a fait le gouvernement provisoire ? Sentant bien qu’il y avait quelque chose à réformer dans les prisons, il a réformé… quoi ?… le travail ! Et ces malheureux, qui, malgré leurs occupations constantes, étaient exposés à tous les mauvais exemples, à tous les contacts impurs, à toutes les corruptions, à tous les désordres, à tous les vices, à toutes les infamies qui s’enseignent, il les livre à l’oisiveté ! Il leur défend, pour ainsi dire, de faire autre chose que de se corrompre les uns les autres, que de conspirer contre la société, contre eux-mêmes !

Depuis vingt ans, le régime de nos prisons soulevait l’indignation de ceux qui en observaient les résultats ; depuis vingt ans, l’on déclarait de toutes parts que la France, sous ce rapport, était en arrière de tous les pays civilisés ; on portait à la tribune, chaque année, cette accusation « La société a le droit de punir, mais elle n’a pas le droit de corrompre, et le régime de nos prisons est profondément corrupteur. » Que dira-t-on maintenant !

Comment ! dans la république, les seuls hommes qui soient dispensés de travailler pour vivre, ce seront les prisonniers ! Eux seuls auront un loisir constant ! eux seuls gagneront sans se déranger leur pain de chaque jour, leur toit, leur vêtement ! eux seuls auront le privilège de consommer sans produire ! Pour passer ses heures dans un doux far niente, il suffira désormais de commettre un crime ! Les coupables qui ont violé les lois de la société et que la société a l’intention de punir vivront dans l’insouciance, dans la fainéantise, pendant que les ouvriers honnêtes s’épuiseront pour gagner, au prix de leurs sueurs, une existence incertaine et le pain de leurs enfans ! Et si ces pauvres ouvriers, à force d’économies, parviennent à acquérir une petite maison pour abriter leur vieillesse, le gouvernement viendra leur demander chaque année une part de leur modique épargne pour entretenir dans l’oisiveté ces impurs fainéans des prisons, qu’on lâchera dans le monde pires qu’on ne les a trouvés ! Est-ce là ce qu’on appelle un progrès ? Est-ce là ce qu’on appelle porter de l’intérêt aux classes laborieuses ? Hors de France, ce progrès sera, je pense, appelé d’un autre nom, et les Turcs se moqueront de nous.

L’intention du gouvernement provisoire était bonne cependant. Il voulait délivrer l’industrie privée de la concurrence du travail des prisonniers, comme si cette concurrence était sérieuse ! comme si le bon marché des produits fabriqués dans les prisons ne profitait pas précisément aux classes laborieuses ! comme si, grace à cette économie de fabrication, les pauvres ne pouvaient pas se procurer mille objets nécessaires ou agréables dont ils devront se passer maintenant que l’industrie ne pourra les fournir au même prix ! Où donc les pauvres, et ceux qui les aiment, trouveront-ils aujourd’hui des chemises solides