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paysans autrefois asservis par la force et non encore entièrement émancipés aujourd’hui, ceux-ci trouvent du moins un refuge dans le sanctuaire des municipalités, qui, en se réorganisant, ont repris toutes leurs attributions de répartiteurs, de collecteurs de l’impôt et de dépositaires de la caisse des pauvres. Le jour où l’institution des spahis aurait enfin cessé d’exister et où le dernier obstacle au développement de la propriété libre aurait été ainsi écarté, il y aurait en Bulgarie tous les élémens d’une démocratie aussi régulière et aussi parfaite que celle qui règne dès à présent chez les Serbes.

Lorsque les Serbes, au commencement de ce siècle, se sont soulevés avec Tserny-George à leur tête, l’insurrection était dirigée contre les pachas et les spahis ottomans qui opprimaient le pays, soit comme administrateurs, soit comme propriétaires. Lorsque ces mêmes populations se sont donné une constitution sous Milosch Obrenowicz, elles l’ont fait en s’inspirant de leurs traditions, éclairées et fécondées par un rayon de lumière de la civilisation moderne. Milosch, dépourvu de toute instruction, mais non de bon sens ni d’éloquence, s’était d’abord laissé séduire entièrement par l’esprit de justice et d’égalité qui circule dans nos codes, et il eût voulu alors importer dans son pays et nos lois et jusqu’aux formes de notre jurisprudence. Si généreuse que fût son intention, il ne tenait pas assez compte de la simplicité primitive de ses concitoyens. Il fallait à la Serbie plus de fraternité, plus de solidarité, plus d’égalité réelle, plus de liberté politique que nous n’en avons eu jusqu’à présent chez nous ; il lui fallait aussi moins de fictions légales, moins de formules, moins de principes abstraits, moins de complications administratives ; en un mot, il lui fallait une démocratie plus naturelle et moins savante. Sitôt que Mahmoud, suppléant aux incertitudes de Milosch, eut compris les véritables vœux de la nation serbe, il l’aida lui-même à revenir aux traditions illyriennes, qu’il s’efforça seulement de perfectionner. Il se garda bien de laisser la propriété dans le vague du droit de communauté. Il reconnut quelle forte impulsion la poussait à devenir individuelle, et combien le pays avait à gagner à ce qu’une telle réforme s’accomplît irrévocablement Il fit donc de ce principe, nettement exprimé, le fondement du nouvel ordre social. C’est la base de la constitution donnée aux Serbes en 1838 et agréée par eux. Il n’existe point en Serbie de privilèges, point de classes ; tous sont de plein droit propriétaires, tous paient indistinctement à la municipalité et à l’état les impôts, qui sont répartis proportionnellement à la fortune supposée de chacun ; c’est la municipalité qui fait cette répartition, toujours facile dans les villages et les petites ville, surtout si l’on considère que la richesse consiste presque exclusivement en terres et en troupeaux. C’est aussi la municipalité qui lève sans frais pour l’état et qui transmet de même cet