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deux rives du Danube est nette et claire, malgré des complications apparentes. La Turquie est assurément placée dans la nécessité de tenir compte de tous les faits particuliers à ces deux civilisations bien distinctes et du génie propre à chacune des deux races illyrienne et roumaine ; mais la question se simplifie d’elle-même. Il existe, en effet, dans la Romanie un parti très éclairé et très dévoué aux Turcs, qui, possédant sur tous ces problèmes de réforme des idées arrêtées, n’a besoin pour les faire triompher que d’être appuyé par le divan auprès des princes de Moldavie et de Valachie. Quant aux populations illyriennes, il s’agit seulement de les conduire pas à pas vers cet état social, vers cette démocratie positive et pratique dont la Serbie goûte les bienfaits, et qui s’accorde si bien avec les principes primordiaux de la civilisation musulmane. À la rigueur, il n’est pas besoin que l’organisation politique de la Bosnie et de la Bulgarie soit la même que celle de la principauté serbe ; il n’est pas indispensable que les Bulgares et les Bosniaques soient dès à présent gouvernés par des princes nationaux. Il n’est question encore que de réformes dans la législation de la propriété et dans les institutions municipales, sans lesquelles la liberté individuelle n’est qu’un mot vide de sens. Si le sultan voulait un jour faire plus, s’il voulait donner à la Bulgarie et à la Bosnie des princes ou knèzes nationaux pour remplacer les pachas, et constituer ainsi une fédération dont Constantinople deviendrait le centre et la tête, ce serait un acte hardi qui ne manquerait ni de grandeur ni de sagesse ; mais, avant toute autre réforme, il importe, il est urgent que la condition sociale des paysans soit partout et promptement améliorée, ou, pour mieux dire, transformée d’après les principes de la propriété individuelle et de la liberté civile.

C’est là pour les Osmanlis une question de vie ou de mort : inactifs, ils tombent en ruine, entièrement pour cette fois ; hardis et audacieux au besoin, ils peuvent encore jeter dans le monde un éclat inattendu. En effet, s’ils acceptent cette mission élevée de réformateurs, ils ont partout sous la main des élémens généreux et neufs que le temps a jusqu’à ce jour tenus en réserve dans leur sève primitive, de jeunes nations chez lesquelles la vie travaille et déborde. Donnez la justice à ces cœurs qui en ont soif, la lumière à ces yeux qui la cherchent ; soyez un homme, un vrai fils de la nature, non point un froid raisonneur embarrassé dans les sophismes de l’école, mais un penseur affranchi du joug des systèmes, capable de plaire aux imaginations par votre langage ; sachez revêtir vos lois nouvelles de ce prestige de grandeur si cher aux Orientaux, et d’un seul geste vous susciterez du fond de ces masses, en apparence inertes, toute une explosion de sentimens, d’idées et de vertus, peut-être impossibles aujourd’hui dans notre monde raffiné. A vrai dire, les populations marchent d’elles-mêmes vers