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des brigands de la Bosnie et de l’Albanie ; ils n’ont pas la promptitude de ces peuples pour saisir les idées ni leur activité pour les répandre ; mais ils ne sont pourtant point indifférens aux progrès de la science, aux découvertes modernes, et, sitôt que la vérité leur arrive dépouillée de l’attirail de formules abstraites dont nous manquons rarement de l’affubler, ils la reconnaissent et l’acceptent.

Que les Roumains, les Hellènes, les Illyriens, les Albanais, rayas ou vassaux des Osmanlis, aient donc confiance en l’avenir. L’islamisme ne leur est point hostile ; s’il le fut naguère dans l’ardeur de la victoire et par la rudesse des temps, il se rappelle aujourd’hui sa véritable origine hébraïque et chrétienne ; il pratique la tolérance qu’il a toujours prêchée, et il n’est pas tout-à-fait inaccessible aux idées venues du dehors. La nature calme et rêveuse des Osmanlis peut être un retard à l’émancipation des peuples, ce ne sera point un empêchement insurmontable.

Non, la race ottomane, vue de près sans parti pris, n’est point cette horde barbare que l’on se plaît à nous dépeindre comme essentiellement aveugle, intolérante, ennemie de toute lumière, pétrifiée enfin dans l’immobilité par la théocratie et la superstition. C’est par suite de préjugés et d’erreurs qu’ils ont reçus en héritage des fils des croisés que les fils de Voltaire ont quelquefois aussi tenu ce langage si peu équitable et si peu vrai. Ah ! sans doute, lorsqu’un peuple tombe, la cause en est d’abord en lui-même, qu’il s’appelle ou Turquie ou Pologne ; c’est, avant toute autre raison, par son injustice et par ses fautes qu’il périclite ou s’écroule : intelligent et juste, il eût triomphé de l’impossible. Mais il n’est pas légitime, ainsi qu’on le fait sans scrupule à l’égard des Osmanlis, d’attribuer toutes leurs calamités à leurs vices, à leur incapacité politique, en oubliant de dire pour combien les maux du dehors ont pesé dans cette décadence, pour combien la Russie durant tout un siècle, et récemment la France et l’Angleterre avec toute l’Europe, moins peut-être l’Autriche, ont travaillé à cette vaste ruine. Si l’empire a pu résister à tant de ruses et à de si grandes forces, et s’il a su, au milieu de ces orages, entreprendre une réforme qui, sans être complète, n’a pourtant point encore échoué, n’est-ce pas une preuve de sa vitalité même ?

Comment la race turque a-t-elle réussi, à la suite de si graves vicissitudes, à pacifier l’Albanie, qui avait dans tous les temps vécu d’insubordination et de brigandage ? Comment a-t-elle retrouvé la confiance des Hellènes de la Roumélie, malgré le voisinage de la Grèce indépendante ? Comment a-t-elle pu reconquérir la déférence et l’appui des Moldo-Valaques, la parfaite amitié des Serbes, alors même que les uns et les autres se remuaient le plus activement dans l’intérêt de l’émancipation slave et roumaine ? Enfin, par quelle influence les laborieux