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dans cette attitude traditionnelle, donnée si souvent sur les monumens pharaoniques aux rois conquérans de la dix-neuvième dynastie ; ce Ptolémée singe Sésostris. On a cru que ces représentations indiquaient chez les anciens Égyptiens l’usage de sacrifices humains : c’est une erreur. Le monarque brandissant la massue, les captifs agenouillés devant lui et saisis par sa main puissante, formaient un groupe hiéroglyphique, exprimant, dans de vastes proportions, l’idée de la soumission absolue au vainqueur, du droit de vie et de mort dont celui-ci était investi, et rien de plus. Cet immense hiéroglyphe, répété sur chacun des massifs du pylône qui sert de porte au temple d’Edfou, devait produire chez ceux qui arrivaient à cette porte colossale une forte impression de terreur et de respect en leur présentant une image parlante de la puissance souveraine et formidable de leur roi.

La cour, entourée d’un péristyle, est malheureusement en partie encombrée. En plusieurs endroits, les énormes chapiteaux semblent sortir de terre et s’épanouir à la surface du sol comme une fleur sans tige. Il en résulte un effet extraordinaire, et qui a quelque chose de monstrueux. Un déblaiement, facile à exécuter, permettrait de contempler sous son véritable aspect cet édifice, dont les proportions réelles échappent aujourd’hui au regard, et qui semble un géant enfoui jusqu’à la ceinture et dominant encore de son buste énorme les chétives statures des hommes.

Après avoir fait le tour du temple intérieurement et extérieurement, — car à l’extérieur il est couvert aussi d’ hiéroglyphes, — et avoir recueilli ceux qui me paraissaient offrir quelque intérêt, je suis venu me reposer d’une journée laborieuse en m’asseyant sur le mur qui enceint la partie postérieure du temple. Là, les pieds ballans, l’esprit et le corps alanguis par l’attention et la fatigue, j’ai contemplé long-temps d’un regard rêveur la plaine, entrecoupée de terrains arides et de terrains cultivés, qui s’étendait devant moi, tandis que les approches du soir ramenaient les fellahs vers leur pauvres demeures, vers les huttes de terre que je voyais là-bas au dessous de moi comme des taupinières. Après avoir joui long-temps, sur le mur où j’étais perché, du calme, du silence et de la sérénité qui m’entouraient, je suis redescendu, j’ai regagné ma barque, et, le vent du nord s’étant levé, nous avons continué notre route aux clartés de la lune, qui répandait sur le Nil une blancheur lactée et faisait resplendir les rames dans la nuit.


Sur le Nil.

Tandis que nous voguons, poussés doucement par un vent favorable, les matelots, qui n’ont rien à faire, racontent des histoires. L’un d’eux dit la sienne, que Soliman me traduit à mesure. « J’étais maçon ; le grand pacha, qui avait des pierres à transporter, me fit capitaine de