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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/787

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de manière que la couronne impériale ne fût jamais long-temps dangereuse aux autres couronnes. Il en est qui proposent une combinaison moins usée l’on ne parlerait plus d’empereur, de César ; on aurait un prince des Allemands, qui ne porterait que ce titre, et renoncerait, pour l’accepter, à tous ceux qu’il pourrait avoir auparavant, satisfait de manger à Francfort sa liste civile. Ce serait un président de république qui commanderait à des rois. Enfin beaucoup aussi goûteraient un troisième système qui aurait l’avantage, très compensé d’ailleurs, de mettre d’accord les rivaux les plus difficiles à contenter au moment décisif du partage. La Suisse travaille pour l’instant à se débarrasser des inconvéniens de son vorort alternatif ; on le lui emprunterait en Allemagne, et l’on aurait à tour de rôle, au sommet du nouvel édifice, la Bavière, la Prusse et l’Autriche.

Quel que soit celui de ces plans unitaires qui triomphe à Saint-Paul, il se heurtera plus ou moins contre cette difficulté que nous apercevions tout à l’heure, contre l’esprit de localité qui réagit déjà chez le gros des gens, rien qu’à la pensée d’une compression. Au fond, les Allemands tiennent à toutes leurs dynasties beaucoup plus encore qu’ils ne veulent le dire ; puis, les habitudes de leur existence provinciale ou municipale les mettent d’avance et sourdement en guerre contre tout essai de centralisation. Les gouvernemens eux-mêmes ne sont pas, on le croit bien, très pressés d’abdiquer en tout ou en partie leurs prérogatives ; un état qui a ses traditions, son génie, son patronage et sa clientelle, ne renonce pas sans marchander au libre maniement de toutes les ressources qu’il a su lui-même employer pendant des siècles. Armée, diplomatie, navigation, forteresses, routes et douanes, faire tout cela fédéral, c’est un dépouillement patriotique dont les cabinets et les peuples pourraient bien n’avoir pas de si tôt l’héroïsme. L’Autriche a déjà même exprimé ses réserves très intelligibles, quoique entortillées. Nous sommes curieux de voir un empereur d’Allemagne qui ne serait pas le roi de Prusse ordonner des levées, en Brandebourg ou en Poméranie, et tenir les clés de Custrin et de Spandau. Enfin on ne peut disconvenir qu’il n’y ait à l’ouest un instinct de séparatisme que l’on guérira difficilement par un système d’unité dont la Prusse ou l’Autriche tiendrait la tête. Les couleurs noir, or et rouge ont été un moment proscrites en Bavière. L’énergique population enfermée dans les montagnes du midi de Bade serait demain république indépendante plus volontiers qu’état d’empire. Il se fonde un journal sur le Rhin inférieur pour prêcher la réorganisation de l’électorat de Cologne. On a même été jusqu’à proposer quelque part de donner à la Prusse la couronne d’Allemagne, à la condition que de ses huit provinces elle fit huit principautés. Ce penchant à l’isolement qui se trahit avec une originalité si décisive, qui s’appuie sur tant de vieilles raisons, qui perce à tous les étages du monde politique, ce particularisme, comme le nomme la presse allemande en l’attaquant sans relâche, voilà l’écueil des législateurs de Saint-Paul.

La façon dont on l’a tourné jusqu’ici, dont on le tournera peut-être encore, ç’a été de stimuler l’orgueil et l’ambition germaniques pour inspirer au pays le besoin d’être un en face et quelquefois en haine de l’étranger. C’est surtout la Prusse qui s’entend à exploiter l’opinion pour susciter ainsi l’esprit