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et peut-être même y travaille-t-on à la défaire, car à côté des clubs et des rassemblemens du peuple aux Zellen, il ne manque pas de partisans entêtés du régime déchu. Le petit bourgeois, l’épicier (Spieesbürger), le fournisseur de la cour, si fier de son titre, ont plus d’influence à Berlin qu’en aucune autre capitale ; la bureaucratie, d’autre part, n’est pas un instrument qui puisse en Prusse s’assouplir très vite aux mains de ministres parvenus. Tout cela murmure et réagit, et tout cela n’empêche point que Berlin n’envoie à l’assemblée de Francfort et à son propre parlement plus d’un député complètement acquis à l’extrême radicalisme. Il y a là sans doute quelque lutte qui couve dans l’ombre où les affaires berlinoises sont momentanément tombées.

À Vienne, au contraire, les explosions bruyantes se succèdent avec une rapidité si singulière, qu’on ne peut pas croire qu’elles ne soient point factices. Une émeute a chassé M. de Metternich, une autre M. de Ficquelmont ; celle du 15 mai détermine l’empereur à partir furtivement pour aller chercher un asile et un appui chez les Vendéens du Tyrol. La constitution du mois d’avril n’est plus qu’une lettre morte ; le parlement qui devait se réunir le 26 juin, au lieu d’être un parlement octroyé, divisé en deux chambres, sera proprement une constituante et sortira du suffrage universel. Ainsi l’ont voulu les cinq mille étudians de la légion académique, et le ministre de l’intérieur, le vieux M. de Pillersdorf, pâle et tremblant, est descendu lui-même dans la rue leur annoncer à minuit que leurs volontés étaient faites. On s’est hâté naturellement, chez nous, de comparer la retraite du César autrichien à la fuite de Louis XVI, et, prenant Vienne pour Paris, on a décidé que la république allait s’installer demain sur les ruines de l’empire vermoulu. Ce n’est point avec de pareils coups de dé qu’on renversera l’Autriche, si ce grand établissement européen doit un jour succomber. L’Autriche n’est pas seulement à Vienne, elle est à Inspruck d’abord, mais elle est aussi à Pesth, elle est à Prague, elle est dans tous les chefs-lieux de cette fédération de races et de langues différentes qui a duré des siècles sous son nom. La véritable révolution qui gravite sur Vienne et s’y dénoue comme dans son centre, la révolution caractéristique et réellement propre à l’Autriche, ce n’est pas celle qui improvise des réformes politiques au coin d’une rue : c’est celle qui change ou brise les rouages intérieurs de ce vaste corps autrichien en rappelant à une vie plus intense les nationalités juxtaposées dont l’alliance constitue tout l’empire ; c’est cette suite de mouvemens soulevés sur tous les points du territoire par l’éveil ou par la recrudescence des sentimens nationaux. Tandis que la révolution qui part de Francfort se couvre d’un motif d’honneur national pour organiser une haute puissance politique, l’émancipation politique n’est en général, pour la révolution qui aboutit à Vienne, qu’un sûr acheminement vers l’indépendance des nationalités.

Cette indépendance est-elle la chute de l’Autriche, et va-t-il surgir un nouvel édifice aux lieux mêmes que l’Autriche occupait ? On ne saurait prévoir jusqu’où ira l’élan des passions nationales rendues à leur liberté primitive, si l’on ne leur fraie habilement la route, si l’on ne se résigne aux sacrifices indispensables qu’elles commandent, si l’on ne les concilie pas entre elles par quelque juste accommodement. La crise présente devait tôt ou tard éclater ; on s’est habitué d’avance à la regarder comme une crise suprême dont on n’avait