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C’est la réunion de toutes ces petites industries, jointes à la variété des cultures, qui compose l’aisance des familles.

L’agglomération du personnel agricole est tout ce qu’il y a de plus nuisible à la production. J’ai souvent constaté que c’est à cette fâcheuse condition qu’il fallait attribuer, en très grande partie, la pauvreté de l’Espagne. On n’y voit ni châteaux, ni fermes, ni hameaux. Ce sont de gros villages de 1,000 à 3,000 habitans, qui vont cultiver à trois et quatre lieues. Les longues guerres intérieures, quelquefois l’absence de l’eau, ont amené ces agglomérations de cultivateurs. Il est aisé de comprendre qu’il en résulte une grande perte de temps. Pendant qu’on voyage, on ne travaille pas. Quand on est loin de son champ, on y va rarement, et une foule de ces petits soins qui assurent les récoltes ne sont pas donnés. Souvent, quand on a achevé un travail, il reste encore une ou deux heures de jour que l’on emploierait, si l’on était près de ses terres. La ménagère, quand elle a soigné ses enfans et sa maison, va dans le champ voisin extraire de l’herbe, sarcler des plantes ; il en est de même de l’homme qui soigne le bétail. Avec l’agglomération des travailleurs, rien de tout cela n’est possible, et cela fait une perte de forces considérable dans le cours de l’année. Le phalanstère pourra peut-être convenir, dans quelques cas, à la manufacture, mais je le crois absolument impropre à la fabrique agricole.

J’engage M. Louis Blanc à se faire rendre compte des résultats obtenus à l’union du Sig dans la province d’Oran ; il trouvera à cet égard des renseignemens certains près de M. le général Cavaignac, qui vient de commander cette province. L’union du Sig, fondée par souscriptions, a été soumise au régime que M. Louis Blanc veut donner à ses colonies agricoles ; elle était dirigée par un capitaine d’artillerie très passionné pour l’idée phalanstérienne. L’état lui donna 3,000 hectares de bonnes terres défrichées et arrosables en très grande partie par le barrage du Sig. On y ajouta 150,000 Francs de subvention pour les travaux d’utilité ou de sûreté publique. Eh bien ! malgré tous ces avantages, cet établissement est fort loin de prospérer ; on le dit même très voisin de sa chute.

De cet aperçu de l’un des mille côtés du plan de M. Louis Blanc, il ne faut pas conclure que je repousse entièrement l’idée de ramener aux champs une partie des ouvriers de la ville ; non, je l’approuve au contraire beaucoup, je ne combats que le moyen. Tout le monde comprend l’urgence de cette mesure de haute politique et d’humanité ; mais on est loin de s’entendre aussi bien sur les détails de l’application.

La création d’une société en commandite pour former une armée agricole qui serait chargée de défricher les landes, de reboiser les montagnes, de dessécher les marais, telle est la base d’un autre système, proposé par le 8e arrondissement de Paris, et plus impraticable encore, à mon avis, que celui de M. Louis Blanc. D’abord je doute que l’on trouve par souscriptions les capitaux énormes qu’il faudrait pour réaliser