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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/858

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Le principe de la propriété est l’appropriation de la terre par le travail ; or, un homme qui par son travail tire des produits d’une terre inculte est propriétaire des produits et non de la terre elle-même, car il crée les produits et ne crée pas la terre ; donc, la terre n’est à personne, elle est à Dieu ! Eh ! qui vous dit le contraire ? qui est-ce qui a jamais imaginé de soutenir que l’homme créait la terre ? Sans doute, si l’homme se prétendait propriétaire de la terre dans le sens où vous l’entendez, il dirait une absurdité, une impiété, il volerait Dieu ; mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : dès l’instant que vous accordez la propriété des produits, vous accordez tout ce qui est nécessaire. En effet, si l’homme ne devient pas propriétaire du sol proprement dit, il est propriétaire de tout ce qu’il a ajouté au sol par son travail et qui est inséparable du sol lui-même ; cela suffit. S’il a bâti une maison, il est propriétaire de la maison ; s’il a défriché un champ, il est propriétaire du défrichement. Vous dites qu’il est payé de ses peines par sa récolte, mais sa récolte de l’année ne représente pas tout le fruit de son travail. La valeur utile qu’il a ajoutée à la terre pour l’avenir lui appartient aussi ; quand il a planté un arbre, il a droit à perpétuité aux fruits de cet arbre ; de même, quand il a modifié le sol par la culture, il a droit à perpétuité aux conséquences de cette modification.

En fait, il n’est pas vrai que le droit de propriété soit aussi absolu, d’après nos lois, que le prétend encore M. Proudhon. Quand il n’y aurait que l’impôt pour atténuer ce droit et le détruire à la longue, cette restriction serait suffisante pour démontrer l’exagération du reproche. Dans l’état ordinaire des choses, l’impôt enlève en moyenne au propriétaire le dixième du revenu ; quand la propriété change de main, l’impôt prélève encore le quinzième du capital. Il ne faut pas beaucoup de générations pour que la valeur d’une propriété passe ainsi tout entière dans les coffres de l’état. Si le travail ne renouvelait pas constamment cette valeur, elle serait bientôt absorbée. Ce n’est pas tout. Tant d’intérêts divers et distincts de celui du propriétaire se rattachent à la propriété, que quiconque consomme sans produire est sûr de se ruiner, quelque riche qu’il soit, dans un délai donné. Il y a d’abord les métayers, les fermiers, les régisseurs, tout ce peuple qui vit aux dépens du maître, et qui a bientôt réduit à néant, si l’on n’y prend garde, les meilleurs revenus ; il y a ensuite les hommes d’affaires proprement dits, les notaires, les avoués, les avocats, qui, dans les contestations, dans les ventes, dans les héritages, trouvent toujours le moyen de détacher quelque lambeau du capital ; il y a les capitalistes, les prêteurs hypothécaires, qui grèvent les immeubles d’intérêts considérables ; il y a les droits des femmes, des mineurs, qui rendent une grande partie des propriétés incommutable ; il y a enfin les règlemens publics, qui mettent des bornes à l’usage de certaines choses, dans l’intérêt commun,