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d’être aussi, dans une certaine mesure, contrariée et limitée par les lois.

Nous savons tout ce qu’on peut nous objecter sur le choix de cet exemple. L’Angleterre, dit-on, n’a pas les mêmes habitudes que la France ; l’usage des boissons chaudes, qui provoquent l’emploi du sucre, y est beaucoup plus répandu. Comme si le sucre manquait d’emploi en France, comme s’il n’y avait que les boissons chaudes où cette substance pût utilement entrer ! Et qu’est-ce qui empêche d’ailleurs que l’usage de ces boissons, du café, du chocolat, du thé même, ne se propage dans notre pays autant qu’ailleurs ? Rien, si ce n’est l’exagération de nos tarifs. Loin d’admettre que la consommation actuelle du sucre en Angleterre soit un fait exceptionnel, et qu’il ne soit pas donné à la France de l’égaler, nous pensons, au contraire, qu’il ne nous serait pas difficile de la surpasser de bien loin. Il ne s’agirait pour cela que de substituer une législation rationnelle à la législation extravagante et ridicule que nous avons maintenue jusqu’à présent.

L’Angleterre et la France ont eu long-temps, en ce qui concerne les sucres, des régimes de douanes tellement semblables, qu’ils paraissent avoir été calqués l’un sur l’autre. Tout en frappant les sucres de leurs colonies de taxes excessives, les deux pays ont repoussé également, par des surtaxes prohibitives, les sucres étrangers. Ils se sont donc réduits l’un et l’autre à l’approvisionnement de leurs colonies, faute grave dont ils ressentent encore les effets. Seulement les situations n’étaient pas les mêmes, et des législations semblables y ont produit des résultats fort différens. Tandis que la France s’est trouvée, depuis 1815, en face de quelques pauvres petites colonies, points perdus dans l’espace, dont la production est naturellement très bornée, l’Angleterre a eu devant elle des colonies nombreuses, puissantes par leur nombre, leur étendue et leur richesse, et dont la production a même été pendant long-temps supérieure à ses besoins. Comment s’étonner, après cela, que la consommation de la France soit demeurée jusqu’à présent si fort au-dessous de celle de l’Angleterre ? Est-il besoin, pour rendre compte d’un fait si simple, de s’appesantir sur les habitudes des deux pays ? L’exclusion des sucres étrangers n’a pas laissé pour cela d’entraîner, par rapport à l’Angleterre même, des conséquences fâcheuses, surtout depuis l’émancipation des nègres ; mais ce qui était pour ce pays une faute, est devenu pour la France, dans la situation où elle se trouvait après la perte de Saint-Domingue, une véritable énormité.

Avant d’exposer les résultats de notre législation actuelle et les complications qu’elle a produites, comparons les deux régimes, anglais et français, terme à terme, en remontant, pour ce qui regarde l’Angleterre, à une époque antérieure aux réformes effectuées par sir Robert Peel et par lord John Russell, par exemple, à l’année 1840.