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qu’on appelle la Manche ? Ou bien, ce qui serait au moins aussi probable, le sol de la Haute-Normandie et celui de la Grande-Bretagne se sont-ils soulevés parallèlement, en laissant la mer, sous laquelle ils s’étaient formés, maîtresse de l’espace intermédiaire ? Voilà des questions bonnes à discuter entre curieux. Elles ne sont point résolues par les reconnaissances faites, à plusieurs milles au large, de points où la roche constitutive des falaises se montre au fond de la mer ; ces roches peuvent, en effet, aussi bien avoir été toujours recouvertes par les eaux qu’avoir servi de base à des falaises détruites. Cependant les couches de tourbe, ou plutôt de lignite, que la sonde découvre à 2,700 mètres du rivage devant Neuvilette, à 4,400 devant Criel, à 3,500 devant le Tréport, à 5,200 devant Blaingues, attestent irrécusablement que les bancs crayeux sur lesquels elles gisent ont été, dans la nuit des temps, recouverts d’une végétation puissante, et que la côte s’est avancée au-delà de la place qu’elles occupent. Mais sortons du domaine des conjectures pour entrer dans celui de la pratique.

Pour juger, au point de vue des intérêts maritimes, des modifications que peut apporter l’avenir à l’état actuel de la côte, il suffit de se rendre compte de la marche des envahissemens de la mer pendant les derniers siècles. Si ceux-ci ne nous ont légué ni cartes très exactes, ni précis d’observations très dignes de confiance, la mer a laissé subsister le long de la côte d’assez nombreux vestiges des falaises qu’elle a dévorées : telles sont l’Aiguille et la Porte orientale d’Étretat, le Chicart d’Iport, la Galère du cap d’Ailly, le Heaume entre Dieppe et le Tréport. Ces roches sont restées comme ces témoins que les terrassiers conservent dans le sol qu’ils fouillent pour donner la mesure des déblais qu’ils ont exécutés ; elles attestent que les falaises auxquelles elles ont appartenu ont ici reculé de cent cinquante mètres, là de quatre cents, plus loin de six cents, mais on ne sait pas au juste quel temps la mer a mis à ronger ainsi son rivage. La marche de quelques corrosions locales est mieux constatée. En 1100, l’église du village de Sainte-Adresse était assise sur le banc de l’Éclat : il est maintenant à 2,000 mètres de la côte, sert de limite extérieure à la petite rade du Hâvre, et la mer a huit mètres de profondeur sur un point où la falaise en avait probablement une centaine de haut. Celle-ci a donc reculé par an d’environ 2 mètres 60 cent. Les ingénieurs des ponts-et-chaussées ont constaté que de 1800 à 1847 la falaise a perdu par an 80 centimètres devant le phare du cap d’Ailly, construit en 1725, et 30 seulement devant les feux de la Hève. Mais la généralisation de pareils faits serait une source d’erreurs : la destruction avance en raison combinée du degré de vivacité de l’action des flots, du relief et de la friabilité des surfaces attaquées. M. de Lamblardie, dont les observations sur la côte de Normandie sont incontestablement les plus instructives