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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 22.djvu/963

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du monde. Étretat est à la veille de perdre cet avantage qu’il doit à son isolement ; une route qui s’ouvre va le réduire à l’état de succursale du Hâvre et d’Ingouville. L’Aiguille, cet obélisque taillé dans la falaise, qui se dresse maintenant au milieu des flots ; la Porte d’Orient, cette arcade colossale, sous la blancheur de laquelle ressort si bien le double azur de la mer et du ciel ; les escarpes déchirées du cap d’Antifer, sont reproduites à chaque exposition du Louvre par la peinture ou le dessin, et ce serait leur faire tort que de chercher à les décrire ici.

Étretat n’est plus qu’un village de pêcheurs ; ses chaumières sont éparses en arrière d’un bourrelet de galets qui barre sa vallée, et la place occupée par elles l’était autrefois par la mer. C’était un port naturel dont le périmètre est marqué par la ligne de niveau que traceraient les marées, sans la digue naturelle qui leur ferme le vallon. Les hautes mers des équinoxes, qui s’élèvent ici de 9m30, pénétreraient encore à 900 mètres dans les terres et recouvriraient de 1m80 d’eau une surface de 22 hectares ; elles ont plus d’une fois franchi l’obstacle qui les contient et submergé les cabanes des pêcheurs. Tel est l’état actuel des choses, et si l’on considère que, depuis l’époque où l’Aiguille et la Porte d’Orient se sont découpées dans la falaise, celle-ci a reculé d’environ 300 mètres, il devient évident que l’anse d’Étretat a jadis offert un meilleur abri qu’aucun de ceux qui s’ouvrent aujourd’hui sur cette côte. Les dernières modifications qu’a subies la plage ne sont pas fort anciennes. « Les vieillards de ce village, écrivait en 1782 M. de Lamblardie, tiennent de leurs aïeux qu’une rivière coulait autrefois dans ce vallon ; elle et sa source ont disparu. » Ce souvenir s’est effacé ; mais une carte de Mercator, qui fut, au commencement du XVIe siècle, le créateur de l’hydrographie, porte un gros ruisseau se jetant dans une anse qui n’existe plus. Aujourd’hui, ce ruisseau coule entre deux terres ; il épanche à mer basse, au travers du banc de galets, ses eaux abondantes et pures ; elles en descendent comme les sources d’une rivière, et puisque leur issue est recouverte à chaque marée de plusieurs mètres d’eau, il est clair que, lorsqu’elles coulaient au jour, leur lit formait un chenal praticable aux navires.

L’Oister-Tat du moyen-âge, qui n’a pas transmis ses bancs d’huîtres avec son nom à l’Étretat d’aujourd’hui, était groupé sur les coteaux du nord, et avait à ses pieds le bassin qui s’est depuis comblé ; en se déplaçant, il a laissé à près d’un kilomètre du rivage l’église, dont l’étendue et la structure supposent les ressources et les besoins d’une population plus riche et plus nombreuse que celle d’aujourd’hui. Des neuf travées de la nef, six sont de style byzantin, et trois de gothique écrasé ; ainsi la construction s’est effectuée du Xe siècle au XIVe. Comme à Dieppe, une tradition vague conservait ici le souvenir de l’existence d’une ville antique, et des fouilles faites en 1845 dans le jardin du presbytère l’ont