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est de 38,006 hectares, et je ne sais quelles ressources offriraient 1,084 hectares de bois communaux assujettis au régime forestier. Parmi les forêts de l’état, celle de Crécy (4,218 hectares) avec les bois de laquelle on construisait en 1664 au Crotoy des bâtimens de 400 tonneaux[1], celle d’Arques (994 hectares) située aux portes de Dieppe, méritent une attention particulière, et leurs parties les plus fertiles devraient être mises en réserve pour les besoins de la marine. J’en dirais autant, sauf les indemnités qui pourraient être dues, des 10,492 hectares de la forêt d’Eu, qui commence à moins de deux lieues du Tréport. Le chêne et les autres bois durs paraissent avoir été jusqu’à présent les seuls dont l’aménagement ait été fort soigné dans les forêts de la Somme et de la Seine-Inférieure, et l’on se plaint aujourd’hui que le sol, fatigué de les reproduire, se dégarnisse ou se laisse envahir par des bois blancs impropres aux constructions navales. C’est là une manifestation de cette loi d’assolement, commune aux grands et aux petits végétaux, qui fait alterner sur le même terrain des espèces différentes, et il y a grand compte à en tenir. Dans les régions sylvestres des Alpes et des Pyrénées, où les essences sont plus variées et où la nature agit en liberté, on voit les futaies de sapins et les futaies d’arbres feuillus se succéder réciproquement de siècle en siècle : les landes du Maine et du Berri se refusent, après un repos centenaire, à se regarnir de chênes, autour des vieux troncs noircis qui en attestent l’ancienne abondance, et prodiguent aux pins la sève et la vie. Les forêts voisines de la côte ne sont point exceptées de cette loi de la nature. Malheureusement les arbres résineux ne se montrent encore dans le pays que par rares bouquets, comme ornemens du paysage plutôt que comme objets d’exploitation, et la place que l’assolement des essences leur réserve sur le sol forestier est occupée par des espèces sans valeur. La facilité de les substituer à celles-ci ressort avec éclat de l’état d’un reboisement fait, il y a quelques années, sur les hauteurs de Beaumont, au nord de la ville d’Eu le sapin argenté y pousse sur la craie aussi vigoureusement que sur les pentes des Vosges et du Jura. Sa propagation dans des forêts voisines de la côte n’aura que des avantages pour la marine ; les bois résineux sont de ceux qui s’emploient le plus dans les constructions navales, et quatre cents bâtimens russes, suédois ou norvégiens, chargés de sapins et repartant sur lest, que reçoivent chaque année les neuf ports des falaises et de la Somme, témoignent assez des besoins du pays et de l’indifférence de notre marine à ce mouvement.

Lorsqu’on remonte la Tamise pour aller à Londres, on aperçoit sur la côte de Kent, qui est formée de la même roche crayeuse que les falaises de Normandie, d’immenses excavations sans cesse assiégées par

  1. Rapport du chevalier de Clerville.