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forteresses de Mantoue, Vérone et Peschiera, base d’opérations des impériaux, et attendre leur matériel de campagne pour commencer l’attaque. Une politique moins méfiante aurait, dit-on, conseillé au roi de Sardaigne de ne mettre par avance aucun prix au secours qu’il apportait, de ne point exiger l’ouverture des scrutins avant d’avoir rejeté pour toujours l’ennemi de l’autre côté des Alpes, et de revenir ensuite prendre à Milan la couronne de fer, que la reconnaissance unanime des Lombards, réunis en assemblée nationale, eût sans nul doute posée sur sa tête. Ce procédé eût été peut-être plus chevaleresque, mais beaucoup moins sûr. Des intérêts trop graves se trouvaient engagés dans cette question pour que Charles-Albert crût pouvoir se permettre ces façons de paladin. L’Europe entière aurait trouvé passablement ridicule le don-quichotisme d’un prince tirant l’épée pour fonder des républiques à sa porte, et Charles-Albert, roi constitutionnel, eût fort bien pu lui-même se trouver dans une singulière position vis-à-vis de son parlement, quand celui-ci serait venu lui demander compte des résultats de la guerre. Charles-Albert n’avait pas deux partis à prendre. Il a suivi la seule ligne de conduite qui pût à la fois assurer sa monarchie au milieu de l’ébranlement général de l’Europe et fonder la grandeur de l’Italie.

Depuis six mois son étoile et sa prudence l’ont bien servi, il faut en convenir. Au moment où la fortune allait l’appeler à réaliser le vœu de sa vie et l’espoir séculaire des princes de sa race, après avoir, durant de longues années accumulé les préparatifs matériels de cette grande entreprise, une armée nombreuse, une marine respectable, des finances dans le meilleur ordre, un dernier appui lui manquait encore : il a su fort à propos se le donner, et avec une rare prévoyance, en accordant à ses sujets des institutions constitutionnelles. Enfin, depuis son entrée en campagne, aucun bonheur ne lui a manqué, jusqu’à celui d’être blessé, ainsi que son fils le duc de Savoie, en combattant à la tête de ses troupes. L’éclat de mitraille qui l’a atteint à la joue n’aura pas été un médiocre appoint dans l’urne du scrutin.

Le résultat de l’appel au peuple est aujourd’hui partout à peu près connu. Il est de nature à rassurer ceux qui pouvaient craindre les chances de cette épreuve. Les registres des paroisses ont été aussi unanimes en Lombardie qu’à Modène et à Parme. Dans les derniers jours de mai, le ministre des affaires étrangères, M. Pareto, a pu annoncer à la chambre des députés de Turin que les principautés de Parme, Plaisance, Reggio, Guastalla et Modène avaient fait leur adhésion et demandaient l’incorporation immédiate à la couronne de Savoie. Milan s’est prononcé le 4 juin. Enfin une adresse du comitat de Padoue, signée des délégués de Vicence, Trévise et Rovigo, a été envoyée le 31 mai au gouvernement de la république de Venise. Les quatre villes de terre ferme invitent formellement la mère-patrie à se prononcer à leur exemple sur la question de l’union, et la menacent, en cas de refus, de se constituer sur le continent en gouvernement séparé. Quant au mode à suivre pour consulter le vœu de la nation, si le vote à la commune ne parait pas offrir des garanties suffisantes, Venise n’a qu’à choisir celui qui lui conviendra le mieux. Les comitats annoncent, en outre, à Venise que le gouvernement de Milan a proposé la réunion d’une commission, laquelle sera chargée de régler l’annexion définitive ; ils l’engagent à se réunir à eux et à envoyer aussi un représentant à Milan, le tout sous condition de ne point laisser passer un certain délai qu’ils fixent impérativement au 3 juin.