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que cette contrée a le privilège de produire. La même exemption devrait être étendue aux fontes lamelleuses que nos départemens de l’Est tirent de l’Allemagne surtout, pour les convertir en acier. C’est de même à la liberté qu’il faudrait s’adresser pour obtenir une compensation en faveur de l’industrie des fers, celle peut-être, à laquelle l’abandon du système protectioniste occasionnerait la plus rude secousse. Personne n’ignore que le principal bénéfice de la protection revient aux propriétaires de bois bien plus qu’aux maîtres de forges eux-mêmes. La protection a triplé ou quadruplé le revenu des bois qui étaient à portée des forges. Les propriétaires de ces forêts seraient indemnisés (en me servant de cette expression, je dois faire remarquer que ce n’est pas le mot propre ; en droit, ils ne peuvent prétendre à aucune indemnité), sans qu’il en coûtât rien à l’état, par la permission de défricher les bois en plaines, autant qu’ils le jugeraient convenable. Dans la plupart des cas, moyennant cette faveur, ils perdraient peu au changement de régime[1].

C’est encore la liberté qui donnerait le moyen de consoler nos agriculteurs du dommage qu’ils supposent que leur causerait l’abandon du système protecteur. En fait, ceux des cultivateurs qui calculent savent bien que le régime protecteur n’est pas profitable à l’agriculture : il lui fait payer plus cher ses instrumens, la plupart des substances quelle emploie dans ses travaux et des articles que les cultivateurs consomment pour leur usage personnel. Or, en retour, qu’est-ce qu’il lui fait vendre plus cher ? Ce n’est pas le blé, car c’est une illusion de craindre l’invasion des blés de la Pologne ou de la Crimée. La puissance productive de ces contrées en céréales, par delà ce qu’elles en consomment, suffira à peine, en temps ordinaire, à alimenter le marché anglais, de ce qu’il y manque. Ce n’est pas la soie le régime actuel, en contrarie l’exportation. Ce n’est pas le vin, apparemment l’industrie viticole est la victime du régime protecteur. Serait-ce la

  1. L’interdiction de défricher les forêts est, en France, un legs du temps féodal. À l’égard des bois en pente, elle se motive sur l’utilité publique C’est alors une servitude naturelle inhérente à la propriété. Pour les forêts en plaine, rien aujourd’hui ne justifie plus l’interdiction, si ce n’est le privilège dont jouissent les propriétaires, par l’effet du système protecteur, de vendre leur bois plus qu’il ne vaut aux fabricans de fer. Le législateur n’est fondé à interdire le défrichement que dans le but de fixer une limite au monopole qu’il a conféré. La restriction imposée au propriétaire de bois est l’accompagnement obligé de celle que subit le public quand il désire se pourvoir de fer. On ne peut supprimer l’une qu’en abandonnant l’autre. J’en ne fais ici l’observation, parce que l’assemblée est maintenant saisie d’un projet de loi, dont le but est de permettre les défrichemens. Très bien, donnez à la propriété toute la liberté possible ; mais, en retour, accordez au public la liberté d’acheter son fer sans payer un tribut aux propriétaires de bois. Le rapport qui est dû à M. Beugnol, revendique d’une manière très heureuse la liberté pour les propriétaires de bois. Il ne faudrait pas presser beaucoup les principes qui y sont invoqués pour en faire jaillir la liberté du commerce.