Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vient s’offrir, la menace est réalisée. Lav-Engro se tord bientôt dans d’horribles et convulsives angoisses ; les gâteaux étaient empoisonnés. Dans ses veinés circule le drow bohême, ce suc mystérieux qui détruit les troupeaux, dépeuple les étables, et parfois consomme aussi de plus noires machinations.

Une scène d’un fantastique assez étrange est celle où mistriss Herne et sa petite-fille viennent assister aux derniers momens de leur victime. La vieille bohémienne, entraînée par l’esprit prophétique ; prédit au gorgio moribond qu’il se rétablira, qu’il traversera les mers, qu’il redeviendra riche, honoré, etc. Puis, a peine ces oracles favorables sortis de ses lèvres, au grand étonnement de sa complice, — elle veut, plus furieuse que jamais, lutter contre le destin, dont elle vient de proclamer les arrêts. Sous la toile de sa tente, que les deux femmes ont renversée sur lui, et qui doit lui servir de linceul funéraire, elle cherche à tâtons la tête du mourant pour l’achever cette fois et lui ravir les chances brillantes de l’avenir quelle vient de lui prédire. Un heureux hasard l’empêche de mener à fin son œuvre sinistre : c’est l’arrivée d’un de ces prédicateurs errans que l’ardeur méthodiste disperse dans les campagnes anglaises, et qui vont de tous côtés semant la parole de Dieu. L’histoire de ce nouveau personnage est un des épisodes les plus curieux de ce livre tout épisodique. La pratique des vertus les plus austères, de la charité la plus dévouée ; l’affection cordiale des pauvres ames qu’il a guéries, l’amour même et les consolations d’une femme qui accepte avec joie le partage de l’existence pénitente et dure à laquelle il, s’est condamné, rien ne peut consoler Pierre le prédicateur. Un remords pèse sur son ame, et durant les longues nuits d’insomnie qu’il passe le front dans ses mains, assis près de sa femme, la douce Winifred, d’amères plaintes, des gémissemens profonds attestent ses tortures intérieures. Quel est donc le crime irrémissible, le forfait sans nom expié par tant de douleurs ? Winifred seule en a reçu confidence, et ce secret n’a ni altéré ni diminué la tendresse qu’elle porte à son époux. Lav-Engro qu’ils ont sauvé, secouru, et qui, promptement, est devenu pour ainsi dire le fils adoptif de ce couple saint, n’est pas long-temps étranger au terrible secret du prédicateur. L’acte monstrueux dont le repentir poursuit ainsi le malheureux méthodiste est un crime que, très certainement, il n’a pas commis, et cela, par une raison bien simple, c’est parce qu’il n’a pu le commettre. Crime énorme dans l’ordre spirituel, c’est une chimère dans l’ordre philosophique ; mais, dans une conscience malade, ce crime sans nom et sans réalité peut engendrer les mêmes angoisses et produire les mêmes ravages l’atteinte la plus positive aux lois de Dieu et des hommes. Borrow n’a garde de négliger cette occasion qui s’offre à lui d’étudier un phénomène intellectuel beaucoup moins rare qu’on ne pourrait le