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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1154

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dans la Vestale une sorte de pressentiment rossinien devaient naturellement, et par un juste retour, se creuser la cervelle à cette fin de constater l’influence de Gluck et du système classique français sur la partition de Guillaume Tell. Étrange aberration que ces théories ! À la critique de notre temps il faut absolument des points de vue, et qui dit point de vue entend par là une façon toute particulière d’envisager les choses. Quant à nous, dût-on nous accuser de manquer de transcendantal, nous n’avons jamais pu voir dans la Vestale qu’une grande inspiration isolée, qu’un de ces sublimes hasards du génie qui ne se renouvellent pas, et qu’on nous passe la figure, une sorte de gui sacré poussé sur les rameaux séculaires du chêne de Gluck.

Aussi, quoi de plus absurde que ce sens révélateur qu’on s’est efforcé de donner au chef d’œuvre de M. Spontini ? La Vestale, je le répète, appartenait au passé dès sa venue au monde, et la preuve, c’est que, tout en restant une immortelle production, elle n’a rien pu susciter autour d’elle, et son auteur lui-même, impuissant à lui créer jamais une digne sœur, consuma sa vie à tourner dans le cercle infécond de sa pensée. De la Vestale à Fernand Cortez, passe encore ; mais de Cortez à Olympie, d’Olympie à Nurmahal, de Nurmahal à Alcidor, d’Alcidor à Agnès de Hohenstaufen, hélas ! Aussi cette année 1807 ; qui vit se lever le soleil de la Vestale, n’eut jamais de fin pour M Spontini. Il y revenait sans cesse, comme à un point de repère dont son esprit avait besoin pour subsister. Il en avait conservé les habitudes, le langage, la façon d’être, tout, jusqu’aux habits ; il était de 1807, de l’année de la Vestale et du prix ; décennal. Les événemens qui s’étaient accomplis depuis cet âge d’or éternisé par les souvenirs du succès, il les ignorait du fond de l’ame ; des talens qui avaient pu surgir, des renommées nouvelles, il ne s’en informait seulement pas ; et lorsqu’après ses longs séjours à Berlin, où le roi Frédéric-Guillaume III l’avait appelé pour diriger sa musique, il se retrouvait, en passant au foyer de l’Opéra, dépaysé, ahuri, au milieu du va et vient, et du brouhaha tumultueux de tant d’intérêts étrangers, il se demandait s’il était bien possible que le chef-d’œuvre qu’on applaudissait là ne fût point Olympie ; et par quelles incroyables machinations de la perversité humaine, par quelle intrigue souterraine il se pouvait faire que la Muette eût été substituée à la Vestale ou Guillaume Tell à Fernand Cortez ? Le nombre est plus grand qu’on ne pense des musiciens aux yeux desquels il ne saurait exister au monde qu’une musique, celle qu’ils composent, et les meilleures intelligences n’échappent point à cette faiblesse. — Quelqu’un entrait un matin chez Grétry en chantonnant un air de d’Alayrac « Que marmottez-vous là ? lui demanda Grétry d’un ton distrait. — Comment ! vous ne reconnaissez pas cette phrase ? — Qu’est-ce donc que cela ? — Pardieu ! nous l’avons entendu ensemble l’autre jour, à l’Opéra-Comique, et dans votre loge encore ! — Ah ! oui, je me souviens, cette fois que nous sommes arrivés trop tôt à Richard ! »

Il a de tout temps existé ainsi de par le monde quantité de compositeurs qui n’ont jamais eu d’oreilles que pour leur musique. Combien n’en citerions-nous pas aujourd’hui, et parmi les plus illustres, auxquels ce qui se passe en dehors de l’inspiration domestique demeure indifférent et non avenu ! Au fait lorsque vous avez dépensé dans la contemplation de vous-même tout ce que la nature vous a donné de sentimens admiratifs, quel enthousiasme peut vous