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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1157

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mythe. Qu’arrive-t-il de cette ignorance où nous nous enfonçons de jour en jour davantage ? Les plus charmantes jouissances de l’art nous échappent ; faute de points de comparaison, notre critique ne sait où se prendre ; jusque sur nos admirations les plus sincères, nous laissons s’étendre une ombre de scepticisme, et force nous est ou d’ignorer entièrement les monumens du passé, ou de nous en remettre à leur égard au dire d’un tas de glossateurs imbéciles qui se sont constitués les interprètes d’une lettre morte, dont l’esprit s’est désormais retiré.

Je comprends le sentiment de tristesse et d’amertume qui s’empara de l’ame de M. Spontini, lorsque, se retrouvant à Paris après de longues années, il s’aperçut à quel point il était devenu étranger à notre monde. De cette foudroyante musique dont les rhythmes victorieux électrisaient jadis les profondeurs sonores de la salle de l’Opéra, plus une note ne vibrait, et ces échos qu’il interrogeai lui répondaient par les airs de danse de la Muette, le trio de Robert le Diable ou les fanfares de la Juive. Sa partition de la Vestale, dont notre première scène lyrique ne gardait plus vestige à force de la chercher dans Paris, il la retrouva, mais ce fut au Conservatoire : la postérité avait commencé pour lui ! En général, chez nous, les honneurs du Conservatoire ne se donnent guère qu’aux grands hommes morts ou à peu près. Pour un compositeur, passer de l’Opéra à la salle Bergère, c’est quitter le royaume des vivans pour entrer chez Pluton. M. Spontini ne se méprit pas sur la portée d’une si magnifique ovation : il sentit qu’il devenait dieu ! Peut-être eût-il préféré moins de gloire et diriger en simple mortel la reprise de sa partition sur le théâtre de ses anciens triomphes ; mais l’esprit du siècle avait parlé et prononcé sa formule sacramentelle : Sacer esto, ce qui signifie que le novateur téméraire de 1807 était, quelque trente ans plus tard, passé à l’état de classique, et recevait son brevet d’immortalité de la main des mêmes gens qui jadis, en leur qualité de gardiens de l’arche sainte ; avaient le plus furieusement protesté contre ses tendances romantiques. Ainsi va le monde !

La mort de M. Spontini laisse, une place vacante à l’Institut. Comme on pense, les ambitions s’agitent, les brigues se nouent ; c’est à qui fera valoir ses titres au fauteuil. Qui nommera-t-on ? M. Berlioz ou M. Zimmerman ? M. Ambroise Thomas ou M. Panseron ? M. Martin d’Angers ou M. Grisar ? Celui-ci colporte une messe ; cet autre une symphonie ; il y en a -même qui répandent des prospectus où sont énumérés, dans un ordre chronologique, et pour l’édification des profanes qui les pourraient ignorer, les motifs très sérieux de leur candidature : « A telle date, j’ai écrit mes célèbres variations concertantes ; à telle autre, j’ai composé mon oratorio, et, s’il prenait fantaisie à quelqu’un de me reprocher de n’avoir rien donné au théâtre, je répondrais que je m’occupe depuis trois mois d’une grande partition en cinq actes sur laquelle l’Opéra peut compter, pour l’hiver prochain. » Au premier abord, de pareilles bouffonneries semblent inventées à plaisir, et cependant comment révoquer en doute l’ingénuité d’une circulaire ? Comment ne pas croire au sérieux de prétentions si complaisamment exprimées ? A ce propos, je signalerai une très curieuse et très amusante excentricité des mœurs littéraires et (qu’on me passe cet affreux mot) artistiques de notre temps. Nombre de gens qui jusque-là n’avaient jamais donné à songer qu’une ambition si haute les dût tenter un jour se réveillent un beau matin piqués, on ne sait trop pourquoi, de la tarentule académique.