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résumait dans trois grands actes : le traité de Lunéville dans l’ordre diplomatique, le concordat dans l’ordre moral, et le sénatus-consulte organique de l’an XII dans l’ordre constitutionnel.

Le système de l’empereur eut deux résultats principaux : l’un désastreux pour la France, l’autre funeste pour lui-même.

Imposant la guerre éternelle à une société dont les aspirations étaient déjà toutes pacifiques, déifiant la force militaire à la veille du triomphe de l’industrie, Napoléon fut conduit à absorber dans un seul tous les élémens de la vie sociale. Le recrutement de l’armée devint la préoccupation exclusive de l’administration impériale, et le collége ne fut plus que l’antichambre de la caserne. Former de jeunes séides et de futurs Verrès dressés à l’obéissance passive par l’espérance de la conquête et de l’exploitation du monde, telle fut l’œuvre à laquelle son fondateur voua l’administration universitaire chargée de lui préparer des hommes à peu près comme la direction des droits réunis était chargée de lui procurer des écus. Cette tâche ne fut que trop bien remplie, et lorsque la génération élevée dans l’oubli de toutes les garanties légales et de tous les principes du droit international se trouva engagée tout à coup dans une hostilité violente contre le gouvernement qui succédait à l’empire, on la vit porter dans cette opposition les idées les plus incohérentes et les passions les plus détestables. Associant aux doctrines révolutionnaires, vers lesquelles elle se trouvait brusquement rejetée, les traditions gouvernementales de l’empire et ses despotiques allures, couvrant d’apparences constitutionnelles des instincts tout militaires, elle rendit au dehors les cabinets hostiles, et au dedans le gouvernement modéré difficile, sinon impossible. Toutes les fortunes brisées, toutes les jeunes ambitions arrêtées dans leur essor par la chute de la nouvelle féodalité impériale, les auditeurs ex-gouverneurs de provinces et les généraux qui aspiraient à passer rois formèrent, en se coalisant avec les résidus divers de la révolution, l’école hypocrite et loquace qu’on entendit réclamer bientôt à grands cris des libertés dont elle ne voulait pas, et des droits destinés à n’être entre ses mains que des machines de guerre. Le libéralisme revêtit tour à tour et parfois simultanément la robe de l’avocat girondin et la capote du soldat laboureur ; il confondit dans un culte commun la constituante et l’empire, Austerlitz et le 10 août, et la liberté eut en France ce déplorable sort, de n’être réclamée par personne avec plus de violence que par ceux qui avaient le mieux appris à s’en passer.

En jugeant l’arbre par ses fruits, on est conduit à porter contre l’empire une condamnation sévère. Engagée dans une loterie où chacun jouait sa tête sans soupçonner même l’existence d’un droit là où triomphait si exclusivement la force, la génération grandie à son