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de méchantes femmes. Garde-toi des méchantes femmes et des don Limone[1]. Pour le reste, patience ! » — Vous voyez si le malheureux m’a écouté.

— Ainsi, dis-je en riant, parce que votre neveu s’est casse un bras, vous en concluez qu’il ne s’est pas assez gardé des femmes et des élégans de Naples ?

— N’en doutez pas, répondit le Biscéliais d’un ton tragique.

— Je gagerais volontiers que vous vous trompez, et je suis curieux de vérifier qui de nous a raison. Si vous le permettez, je vous accompagnerai jusqu’au lit de votre neveu pour m’informer de sa santé d’abord, et ensuite pour lui demander le récit de son aventure.

— Votre seigneurie lui fera honneur.

Tandis que je causais ave le Biscéliais, les passagers étudiaient les inflexions de sa voix et les mouvemens de son visage avec une curiosité aussi naïve qu’indiscrète. Chaque fois que l’accent de Bisceglia se trahissait, un rire général soulignait les paroles de mon voisin, dont la patience commençait à se lasser. En venant à son secours, je le mettais sur la sellette ; de peur d’amener une querelle, je gardai le silence sur la sellette ; de peur d’amener une querelle, je gardais le silence jusqu’à Sorrente. L’attention des spectateurs incommodes se tourna bientôt vers d’autre objets. Pendant la confusion du débarquement, je pris le Biscéliais par le bras, et je l’emmenai. Nous montâmes ensemble dans la ville par un sentier escarpé. Un enfant, à qui je donnai un demi-carlin, nous conduisit à la maison que lui désigna mon compagnon : c’était un petit casino situé au milieu d’un parterre de fleurs, dans une rue qui ressemblait à une allée de jardin, comme la plupart des rues de Sorrente. A notre coup de sonnette répondit de loin une voix de femme. La servante, jambes et bras nus, les cheveux dans un désordre que le peigne n’avait jamais réparé, braqua sur nos visages inconnus ses grands yeux effarés en demandant qui était nos excellences. Aussitôt que mon voisin eut décliné son nom et sa qualité d’oncle du malade, cette fille partit en criant du haut de sa tête et en battant des mains, pour annoncer au jeune patient l’arrivée du zio carissimo. Nous la suivîmes à travers un petit bois d’orangers, dont les branches pliaient sous le poids des fruits. Des rosiers grimpans couvraient les murs de la maisonnette et les piliers de briques de l’escalier à l’italienne. Un jeune homme d’une figure admirablement belle, le bras droit en écharpe, appuyé de la main gauche sur l’épaule de la servante, parut au haut des degrés. L’oncle très cher embrassa son neveu, et ils se mirent à parler tous deux à la fois avec tant de volubilité, que le fil de leur discours m’échappait. Je compris seulement que le bon zio reprochait au jeune abbé son imprudence,

  1. Don Limone est le sobriquet que le peuple donne aux dandies à Naples.