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gamin, en audience solennelle, et lui annonça son prochain mariage avec une comtesse veuve, belle et riche à plusieurs millions de ducats; il promit des gratifications et récompenses fabuleuses dans le cas où son serviteur ne commettrait ni maladresse ni sottise, et redoublerait au contraire de zèle et d’intelligence pendant les préliminaires du mariage, car, ajouta le patron, la comtesse, quoique maîtresse de ses actions, avait à vaincre l’opposition d’une famille puissante et des prétendans à ménager, parmi lesquels étaient deux princes, trois illustrissimes , et un général. A l’astuce et au mensonge, le guaglione napolitain joint la crédulité la plus aveugle pour tout ce qui éveille en lui l’instinct du merveilleux. Il vous fera des contes à dormir debout, appuyés de sermens solennels; mais, par une juste compensation, il croira de la meilleure foi du monde toutes les fables et balivernes qu’il vous plaira d’imaginer. Le gamin ouvrit des yeux rayonnans, félicita le patron d’un si heureux changement dans sa destinée, et demanda par où commencerait ce service extraordinaire pour lequel il jurait, au nom de Jésus-Nouveau et de sainte Marie-Nouvelle , de déployer un zèle inconnu jusqu’alors de tous les domestiques et facchini du royaume.

— Tu vas apprendre à l’instant même, lui répondit l’abbé, cet important secret qui doit faire mon bonheur et ta fortune. Écoute-moi bien, Antonietto : sans employer aucun intermédiaire, avec l’audace dont je suis seul capable au monde, j’ai offert directement à la comtesse mon cœur et ma main dans le cimetière de Capo-di-Monte. Mes vœux ont été agréés. La divine Lidia, éblouie et subjuguée par ma bonne mine et mon éloquence, a juré, sur la tombe même de son premier époux, d’être à moi pour la vie; mais il faut le temps d’écarter avec politesse d’autres prétendans qui aspirent à sa main, et, pour ne point éveiller de soupçons, nous avons résolu d’un commun accord de ne communiquer ensemble que par lettres. C’est à bien remplir l’emploi difficile de messager que tu vas déployer ton esprit et ta prudence, ô fidèle Antonietto! Demain, jour de l’Assomption, tu iras à San-Giovanni-Teduccio. Tu demanderas à quelque enfant du village où demeure la belle comtesse Lidia. Lorsque tu la verras sortir de sa maison pour se rendre à l’église, tu la suivras avec précaution, et tu chercheras l’occasion de lui glisser dans la main un billet que j’écrirai ce soir. Si la comtesse n’est accompagnée d’aucun surveillant, tu la prieras de t’apporter la réponse en allant à vêpres. Si elle t’interroge sur ma fortune, ma condition et celle de ma famille, tu lui diras que j’ai vingt ans, des amis et des protecteurs puissans, un superbe bénéfice, des parens riches, un avenir brillant, mais que je quitterai l’église, pour laquelle je n’ai plus de goût depuis que mon cœur s’est enflammé d’un amour pur et incurable. Tu ajouteras que Ognissanti Geronimo Troppi, n’ayant plus ni père ni mère, est libre de ses actions et en possession de son patrimoine, qu’il donnera des robes à sa